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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/939

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L’auteur des opéras, des odes et des fables était-il bien désigné par la nature de son talent et par sa conception personnelle de l’art, pour se poser en novateur ? Il ne le semble pas. Lamotte s’accorde avec les classiques pour définir l’art une « imitation de la nature, » mais l’imitation faite avec discernement d’une nature choisie. Dans ses ouvrages il se plie docilement à toutes les règles et n’a garde de profiter pour lui-même des libertés qu’il réclame. Mais soucieux de mériter l’approbation mondaine, il prend le mot d’ordre dans les salons où il fréquente. Or cette société est entichée d’elle-même, infatuée de ses idées et de ses goûts, naïvement persuadée qu’elle est le terme où aboutissent tous les efforts de l’humanité. Elle juge de toutes choses par rapport à elle seule et veut retrouver partout sa propre image. Elle est convaincue de sa supériorité et n’accorde sa faveur qu’à ceux qui l’entretiennent dans cette illusion. Dans la querelle des anciens et des modernes, elle ne pouvait hésiter, et en se rangeant au parti des modernes c’est pour elle-même qu’elle a pris parti. Elle s’est complu aux théories des Perrault et des Fontenelle qui étaient à son adresse la plus délicate flatterie. Ami et admirateur de Fontenelle, Lamotte n’a cessé de tenir les yeux fixés sur celui dont les salons reconnaissaient la royauté : il en est la pâle copie et le clair de lune. C’est un disciple de Fontenelle, qui aurait étudié son modèle dans le portrait qu’en a tracé La Bruyère sous le nom de Cydias. L’esprit nouveau qui commençait à se faire jour dans la société portait déjà le nom d’esprit philosophique. Lamotte est philosophe ; c’est même un philosophe profond, au dire de la marquise de Lambert qui s’y connaissait. « M. de la Motte est philosophe profond. Philosopher, c’est rendre à la raison toute sa dignité et la faire rentrer dans ses droits ; c’est rapporter chaque chose à ses principes propres et secouer le joug de l’opinion et de l’autorité. » Tel est en quelques mots le programme auquel Lamotte n’a cessé de se référer ; là est la clé de ce qu’on a appelé pompeusement sa critique.

Au nom de la raison Lamotte fait campagne contre l’autorité. Le service que Descartes a rendu à la philosophie en l’affranchissant de la scolastique, il faut le rendre à la littérature. Ici, comme aussi bien dans les mathématiques, la seule règle est celle de l’évidence. Car il n’y a pas deux façons de raisonner : il n’y en a qu’une et c’est colle des géomètres. L’art poétique a ses axiomes, ses théorèmes, ses corollaires, ses démonstrations. L’autorité est donc aussi peu recevable en littérature qu’elle léserait dans les sciences. « Allons jusqu’où la raisonnons mène. Quand il n’y aurait point de partage sur Homère, un homme pourrait réclamer lui seul contre tous les siècles ; et si les raisons