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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 148.djvu/954

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vie un jeune érudit ami de son père, le professeur Stowe, à le tirer du désespoir où l’avait plongé la mort de sa femme. Et quand, après ces deux ans, elle consentit à prendre auprès de lui la place de la morte, qui avait été son intime amie, peut-être y fut-elle amenée moins par l’amour que par la compassion, par l’espoir de rendre ainsi au malheureux savant l’énergie et l’activité que son chagrin lui avait enlevées. Elle attendait beaucoup de lui, le croyait appelé à produire de grandes choses. A peine mariée, elle le détermina à partir pour l’Europe, où elle voulait qu’il étudiât l’organisation des universités ; et sans cesse elle lui prodiguait les conseils, les encouragemens, avec une sollicitude toute maternelle. « Ah ! lui écrivait-elle, si j’étais un homme, et à votre place, comme je saurais profiter d’un pareil voyage ! »

Elle-même, cependant, isolée, malade, accablée des plus cruels soucis matériels et moraux, toujours elle cherchait de nouveaux débouchés au torrent de passion qui coulait en elle. Tantôt elle écrivait de petits traités d’édification, tantôt elle aidait son frère à diriger un journal politique ; ou bien encore elle s’occupait de recueillir, de cacher des esclaves fugitifs, et de les faire sortir des États-Unis. Non qu’elle fût encore une « abolitionniste ; » mais elle ne pouvait voir une souffrance sans lui livrer aussitôt son âme tout entière. Et tandis que les récits de ces misérables l’accoutumaient à considérer l’esclavage comme un des plus odieux fléaux de l’humanité, elle voyait, d’autre part, les apôtres de l’abolitionnisme raillés, persécutes, abandonnés sans défense à la haine de leurs adversaires. Sous ses yeux mêmes, à Cincinnati, une troupe de possesseurs d’esclaves venait un jour assiéger, envahir, saccager les bureaux d’un petit journal anti-esclavagiste. Mme Beecher-Stowe sentait son cœur se gonfler. Qu’une occasion s’offrît, et le feu qui couvait en elle allait enfin éclater.

Cette occasion lui fut donnée par la fameuse Loi des Fugitifs, qui, votée au Congrès de 1850, renforçait d’une sanction nouvelle la légalité de l’esclavage. Mme Fields raconte qu’elle reçut un jour une lettre de sa belle-sœur qui lui disait : « Henriette, si je savais comme vous manier une plume, j’écrirais quelque chose pour faire sentir à la nation entière quelle chose maudite c’est que l’esclavage. » Mme Stowe lut cette lettre à haute voix, devant toute sa famille assemblée, et quand elle eut fini, se levant de son fauteuil avec une expression inspirée : « Oui, s’écria-t-elle, j’écrirai quelque chose de tel ! » Et le mois suivant elle répondait à sa belle-sœur que, aussi longtemps