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âgée n’a pas dix ans, costumées exactement à la façon des sœurs hospitalières de Beaune, d’après une vieille coutume de l’endroit. Elles sont charmantes, ces bambines, sous leur hennin presque aussi grand qu’elles et sous le voile qui encapuchonné leur petite physionomie sérieuse : il en est une si jeune que deux autres doivent lui donner la main et soutiennent son mignon corps rondelet, qui oscille de droite et de gauche, avec un balancement drôle.

Puis viennent des jeunes filles, vêtues de blanc : elles portent des cierges allumés, mais la clarté du jour décolore la flamme et lui laisse à peine une teinte vermeille. Après, des prêtres encore, des surplis à ailes : l’aumônier, le Beau-Père, directeur spirituel de la maison, se distingue en étole et camail, et la communauté le suit, progressant dans sa hiérarchie : les postulantes d’abord, en robe noire, coiffées d’un bonnet tuyauté qui se relève légèrement en pointe au sommet de la tête ; les novices, dont le costume est déjà celui de la maison, avec la robe noire pourtant ; les professes enfin, les religieuses hospitalières, marchant ou plutôt glissant sur deux files, toutes gantées de blanc, soutenant d’une main leur bréviaire ouvert et de l’autre la longue traîne de leur robe couleur de cire, l’air si noble et si haut sous leur grande coiffe qu’on dirait un cortège d’abbesses. Et c’est tout : ce qui vient et se pousse derrière, ce n’est plus qu’une confusion de pèlerines modestes et de toilettes défraîchies, l’empressement des dévotions provinciales, semblable en tous lieux et désespérément banal.

Il manque Rolin et sa compagne : on s’attend à les voir paraître, tels qu’ils ont été portraiturés maintes fois ; l’un et l’autre mis avec une magnificence discrète, lui chaperonné de noir, engoncé dans une courte robe de velours noir ouverte sur le devant, duvetée sur les bords de fourrures à reflets d’or ; elle, portant le hennin pareil à celui des religieuses, le corsage à manches bouffantes, et laissant s’étaler derrière elle l’ampleur de sa jupe noire : tous deux les mains jointes, les traits fortement marqués, l’air dévot et sévère, humbles devant Dieu et sentant leur importance au regard des hommes, faisant le bien avec autorité, avec une munificence entendue, en grands bourgeois qui paient au ciel la rançon de leur richesse. Leur présence ici n’étonnerait personne, en ce lieu où leur pensée vit, règne souverainement, ordonne, surveille et réglemente.