Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/147

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

désirs ; elle leur fait garder ses lettres les plus confidentielles et les plus précieuses ; elle les tient pour ses amies les meilleures et les plus sûres, ou plutôt les seules qu’elle ait. C’est à elles que va la plus grosse part des réformes de la garde-robe, ce qui leur fait des rentes très rondes ; elles ont des gratifications par 1 200 francs, 500 ou 600, selon les jours ; des dots si elles se marient ; des pensions après un temps de services et alors un beau portrait de la maîtresse par Sain ou par Isabey. On a dit fort justement que Napoléon était un homme à valets de chambre, parce que, dès l’Italie, il ne pouvait se passer, pour son service intime, de gens habitués ; mais, combien plus Joséphine est la femme à femmes de chambre, non seulement par les soins qu’elle demande, mais surtout par cette continuelle ouverture aux inférieurs qui l’approchent et l’entourent, par ce besoin de s’épancher sans que cela tire à conséquence. Toutefois, débarrassée qu’elle est des anciennes servantes qui avaient barre sur elle et savaient trop de dangereux secrets, Joséphine comprend qu’il est des familiarités interdites. Elle s’étudie à garder son rang, traite ses femmes avec une extrême politesse, ne leur adresse point de reproches si elle les trouve en faute, les punit seulement par un silence qui dure de un à huit jours, selon la gravité du cas. Elle se tient ainsi dans cette nuance d’intimité protectrice et familière tant qu’il ne lui survient pas une grosse inquiétude ; mais, alors, en quelque façon malgré elle, la distance brusquement s’efface entre l’Impératrice qu’elle est et ces filles qui la servent ; il n’y a plus que des femmes en présence et, pour des confidences, des avis, même des conseils, toute femme en vaut une autre. Joséphine livre donc alors ses inquiétudes et ses pensées, mais elle réserve ses actes, soit qu’elle n’en ait plus à cacher, soit qu’elle ait appris le péril des complicités domestiques.

Joséphine d’ailleurs ne manque point de confidentes de cet ordre. En dehors des femmes qui sont attachées à la Maison, payées sur les états, qui authentiquement paraissent, elle a, comme toute créole, quantité de négresses, de femmes de couleur, de vagues parentes naturelles, qui vont et viennent autour d’elle, dont on ne distingue pas les physionomies, dont on sait à peine les noms et qui pourtant sont les êtres d’absolue confiance, ceux qui font les affaires, servent en des cas de prête-noms, endossent à des jours de terribles responsabilités, dont le dévouement est assez assuré pour que, en péril de mort, ce soit à eux qu’on