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individuels ou collectifs, et des questions économiques de la vie sociale, comme dans les pays qu’animent des civilisations populeuses, européennes ou exotiques. On n’a même pas, à défaut de l’animation que donne le spectacle de la vie, les impressions, monotones au dire de certains, mais profondes et valant bien la peine d’être cherchées, que suggèrent l’éclairement éblouissant, l’écrasante chaleur, et le grand silence tout vibrant de lumière, caractéristiques des déserts de l’Afrique et de l’Orient classique. Ces circonstances physiques, combinées avec la grande idée dominante de l’islamisme, cette religion qui s’adapte si bien au désert, forment un ensemble essentiellement favorable à la vie contemplative. Elles sont peut-être l’antithèse de l’action ; il n’est pas certain qu’elles soient celle de la pensée ; et en tout cas elles ne laissent pas de place au découragement ni au sombre ennui.

Il n’en est pas de même dans les froides solitudes de l’Asie Centrale. Certes ils n’ont rien de riant ni d’agréable, ces paysages mornes, poudreux et grisâtres, à la fois arides et glacés, où la vie pour l’homme est si dure et si dénuée de poésie. Ou du moins, s’il s’y trouve une sorte de poésie spéciale et sauvage, il n’y en a guère de plus difficile à dégager. Ils ne sont ni cultivés ni réjouissans, les représentans informes et pour ainsi dire préhistoriques de l’espèce humaine qui s’agitent de loin en loin sur ce sol : c’est une rare population de Kiptchaks, de Kalmouks et autres variétés de Mongols, vêtus de peaux de bêtes usées par la guerre ou par l’âpre combat pour l’existence. Les gens que l’on rencontre là-bas sont bien les descendans de ces Huns qui ont terrifié les races latines, et qui ont semblé des sauvages étranges même aux yeux des autres Barbares, déjà occupés, avant l’invasion de ces nouveaux venus, à détruire pierre à pierre le grand édifice romain. Ce sont bien les enfans de ces Hioung-Nou que les Chinois traitaient en réfractaires irréductibles et dont ils ont cherché à se séparer par une barrière infranchissable en construisant, dès une époque très reculée, le prodigieux rempart de la Grande Muraille. Si, longtemps auparavant, en parcourant le Sahara, j’avais profondément senti la grande poésie de l’Islam, j’ai compris, aussi, en voyant les déserts de Tartarie, l’indifférence religieuse des Mongols. Ce n’est pas la contemplation, ce n’est pas le rêve qu’inspirent de pareils pays, c’est le néant. La morale qu’on y puise n’est pas celle de l’inaction, c’est celle de la mort.