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Je ne dirai rien de la traversée du Ferganah, que je venais d’achever quand j’arrivai à Och. Bien que ce pays soit délicieux, qu’il soit à la fois le plus riant de l’Asie Centrale et le plus fécond en souvenirs historiques comme en documens artistiques, je ne m’y attarderai pas, quelque désir que j’aie de le dépeindre et d’y retourner par la pensée, ne pouvant le faire en personne. Plusieurs auteurs l’ont fait connaître au monde occidental, et parmi eux, deux ont donné en français la relation des voyages qu’ils y ont faits : ce sont M. de Ujfalvy de Mezo-Kövesd, qui en a parlé savamment, au double point de vue ethnographique et descriptif[1], et Mme de Ujfalvy-Bourdon, sa compagne et sa collaboratrice, qui, dans des peintures plus familières, mais non moins exactes, a consacré au Ferganah une large partie de la relation de ses voyages en Asie[2].

Comme M. de Ujfalvy l’a fait remarquer avec beaucoup de justesse, l’un des traits caractéristiques de ce pays du Ferganah, c’est que la couleur dominante y est le bleu. Cette remarque, nous l’avons faite de notre côté. Les paysages, les lointains vaporeux, les cimes des montagnes, tout, jusqu’au costume des femmes et à la décoration des monumens, y exécute une sorte de symphonie dans la gamme du bleu. Depuis le bleu éclatant et splendide des faïences qui émaillent les façades des édifices jusqu’au bleu pâle du décor lointain des hauts sommets qui encadrent de tous côtés ce pays fermé et si longtemps inabordé par les profanes, depuis les eaux profondes et limpides qui dorment dans le creux des rochers au pied des cascades taries, que la fonte des neiges gonfle une fois par an, jusqu’aux turquoises qui émaillent à profusion les armes des habitans, les bijoux de leurs femmes, leur orfèvrerie de cuivre et même les ustensiles les plus usuels, toute la coloration dominante des objets de cette contrée a pour base le bleu. Ces charmans effets de lumière et de couleur, joints à la pureté de l’air et à la douceur du climat, donnent à ceux qui séjournent à Ferganah une sensation de calme et de bien-être, contrastant singulièrement avec l’impression d’écrasement et de morne tristesse qui se dégage toujours des âpres paysages du Pamir, du Tian-Chan et du Thibet,

  1. Ch. E. de Ujfalvy de Mezo-Kövesd, Expédition scientifique française en Russie, en Sibérie et dans le Turkestan, 6 vol. ; Paris, Leroux, 1878-80.
  2. Mme de Ujfalvy-Bourdon, Voyage d’une Parisienne en Asie Centrale, 1 vol. Paris, Hachette, 1883.