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grand de tous les prophètes de l’Islam après Mahomet et Jésus-Christ, et celui de tous qui a eu sur cette terre la plus grande puissance, car il a commandé, non seulement à beaucoup d’hommes, mais à tous les êtres du monde invisible.

J’aurais souhaité pouvoir contempler ce trône ainsi que les autres merveilles du même genre conservées dans cette caverne vénérée. Parmi celles-ci se trouve un certain bloc de pierre qui laisse entre sa face inférieure et les parois du rocher qui l’enserre un espace très étroit. Les gens, aussi souples que pieux et émaciés par les jeûnes, qui peuvent y passer sont, pour toute leur vie, guéris des rhumatismes présens et futurs. La perspective de l’expédition que j’allais entreprendre, sur des montagnes couvertes de neige et dans des conditions climatologiques peu favorables, m’aurait fait vivement désirer l’assurance de cette précieuse immunité, lors même que de fâcheux souvenirs, laissés par les épreuves de mes voyages précédons, n’auraient pas déjà suffi à me faire apprécier à toute sa valeur l’utilité de ce traitement bienfaisant. Mais l’orifice de la caverne, jusqu’à laquelle les indigènes indemnes de tout vertige et familiarisés avec les prodigieux escarpemens du Pamir, parviennent difficilement à grimper, était tout à fait inaccessible pour les jarrets et la tête de la plupart des Européens, et notamment pour les miens. Je projetai bien de me faire descendre, dans un panier, à l’aide de cordes, depuis le sommet de la montagne jusqu’à l’entrée de la caverne, et je fis part de ce projet à quelques indigènes, ainsi qu’à mon hôte, le colonel Deibner. Mais il aurait fallu pour cela installer un palan sur le faîte, chose assez ardue, étant données la dureté de la roche et la difficulté d’escalade, même par l’autre versant. Les mollahs auraient pu aussi se formaliser. Enfin les nombreux soins de mes autres préparatifs ne me laissèrent pas le loisir de tenter l’expérience. J’en eus d’ailleurs peu de regrets, car, eussé-je pénétré dans la caverne, je n’aurais probablement pas pu jouir de la vue du fameux meuble si intéressant pour un archéologue : autant que je pus comprendre, d’après les explications confuses et les descriptions contradictoires que me donnèrent les mollahs, ce trône est généralement invisible pour les yeux humains, et ne peut être contemplé qu’à certaines dates et dans certaines circonstances mal définies, tout comme, sous d’autres longitudes, le miracle de saint Janvier. Je me souciai médiocrement d’entreprendre une opération périlleuse et compliquée pour ne rien voir