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cendre et poussière. L’âge des abstractions et des grands principes est aussi l’âge des réputations usurpées, des bonheurs impudens, des hasards immoraux, des fausses valeurs, des déconfitures et des banqueroutes. Malheur aux vaincus ! malheur aux faillis ! Comment s’y prendraient-ils désormais pour adoucir leurs peines, pour tromper leurs chagrins ? L’idéologie a tari la source des consolations. Jadis nous sentions quelque chose au-dessus de nous, nous relevions d’une puissance souveraine et mystérieuse, qui réglait nos destinées, nous dispensait les biens et les maux, et il nous en coûtait peu de nous soumettre à ses rigueurs, que nous tenions pour des épreuves.

Nous avons appris depuis peu que nous étions nos propres maîtres ; il suit de là que, quoi qu’il nous arrive, nous ne pouvons imputer qu’à nous nos mécomptes, nos défaites, nos sinistres aventures ; nous n’avons plus d’autre répondant, ni d’autre caution, ni d’autre appui, ni d’autre consolateur que nous-mêmes. L’astronomie de Ptolémée faisait tourner le ciel autour de la terre ; la philosophie du jour fait tourner autour de nous la vie et le monde, elle nous enseigne que nous sommes le centre de l’univers ; nous nous imaginions autrefois que ce centre n’est pas dans l’homme, mais hors de lui et plus haut que lui, plus haut que la terre, plus haut que l’univers entier. Plus vous exaltez en nous le sentiment du moi, plus vous aggravez nos maux et irritez nos blessures. A toutes les misères inévitables, vous avez ajouté celle des espérances déçues et des chagrins superbes. Les mécontens, qui sont légion, ont le droit de vous dire : « Au nom de la sainte liberté et de la sainte égalité, vous nous aviez tout promis ; nous avions tout accepté et vous ne nous avez rien donné. »

Ceux de ses lecteurs à qui M. Pobédonostzeff aura persuadé que nous vivons dans les temps les plus malheureux de l’histoire, dans un siècle maudit, que les principes abstraits et les institutions parlementaires nous ont corrompus jusqu’aux moelles, lui demanderont avec anxiété quel remède il a trouvé au mal cruel qui nous ronge. Il n’en connaît qu’un : c’est le retour à l’état d’antique innocence. Grâce à Dieu, il y a encore des simples dans le monde ; appliquez-vous à en grossir le nombre. Vous vous targuez d’instruire, d’éclairer le peuple ; faites-lui la grâce de le laisser à lui-même et à sa candeur originelle. Ne le traitez pas comme une machine à raisonner, mais comme une âme dont il faut écarter avec soin les mauvais levains qui ne servent qu’à aigrir la pâte.

Selon M. Pobédonostzeff, ce ne sont pas les prêtres qui enseignent