Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/229

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux peuples à croire, ils sont croyans par une sorte d’instinct naturel, et le rôle de l’Église se réduit à protéger cet instinct précieux contre les influences malsaines du dehors. Le procureur général du Saint-Synode croit à la génération spontanée de la foi ; c’est une plante mystérieusement éclose, qui ne demande qu’à pousser et à fleurir, pourvu que des jardiniers imprudens ou pervers ne contrarient pas sa croissance. Chacun de nous sent en lui l’existence d’une âme vivante et immortelle, que nous ne confondons ni avec la nature ni avec l’humanité : Dieu est en elle, et nous n’avons pas besoin de le chercher pour l’y trouver. Le peuple croit parce qu’il croit, et il n’aura jamais de meilleure raison de croire. Ne lui apprenez pas à raisonner sa foi ; les sentimens vrais sont des sentimens simples ; dès qu’ils se transforment en idées, ils se troublent, ils s’altèrent. « Défiez-vous des formules ; elles représentent toujours quelque chose d’incomplet, d’incertain, de conditionnel et de faux. Ce qui est infiniment au-dessus de moi, ce qui a été et ce qui est depuis des siècles, ce qui est invariable et infini, ce que je ne puis embrasser par la pensée, mais ce qui emplit et embrasse mon être, voilà l’objet de ma croyance, et on ne saurait emprisonner dans une formule de logique l’infini de l’univers et le principe de la vie. »

M. Pobédonostzeff estime que le peuple russe a sur tous les peuples de la terre cet avantage qu’il est celui dont le clergé se pique le moins d’enseigner, de catéchiser, de réduire en formules ce qu’il y a de divinement enfantin dans la foi populaire. Le peuple russe est le plus religieux des peuples. D’où lui vient sa vie religieuse ? Lorsqu’on essaie de remonter à la source, on ne trouve rien. La Bible n’existe pas pour ceux qui ne savent pas lire ; restent le service divin, l’office, quelques prières qui se transmettent de la mère et du père aux enfans, et qui sont le seul trait d’union entre l’Église et ses ouailles. Quelquefois, dans des districts perdus, le peuple ne comprend rien ni aux paroles rituelles, ni même à l’oraison dominicale, que souvent il répète en altérant le texte au point de lui ôter tout sens.

Et cependant, au fond de tous ces esprits incultes, comme à Athènes, a été élevé, on ne sait par qui, un autel au Dieu inconnu : « Pour tous, cette vérité que la Providence préside à tous les événemens de la vie est tellement incontestable, elle entraine une telle certitude, qu’à l’heure de la mort, ces hommes, auxquels personne n’avait parlé de Dieu, lui ouvrent les bras comme à un hôte connu et depuis longtemps attendu. A la lettre, ils rendent leur âme à Dieu. » Respectons l’innocence du peuple, et quand il l’a perdue, tâchons de la lui rendre : « S’il