Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/335

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maire de Bordeaux, en 1808, gouverneur du Palais impérial, en 1809, sénateur et comte de l’Empire. Il y a mieux encore : parce qu’il porte le même nom qu’elle, Joséphine va chercher, aux environs d’Orléans, pour en faire un sénateur et un comte de l’Empire, un M. Tascher qui s’est retiré comme capitaine au régiment de dragons Penthièvre et qui, tout juste, est son cousin au vingt-et-unième degré !

Tout cela ne s’est point fait sans sollicitations et sans intrigues, sans recommandations, sans audiences, sans conversations. Encore n’est-ce laque ce que le hasard des recherches a fait retrouver, une part, sans doute infime, des grâces faites à ces parentés. Or, qu’on juge d’après ces faveurs obtenues seulement pour ces deux familles, Beauharnais et Tascher, quel travail Joséphine a dû accomplir, à quel point elle a dû être importunée et importuner à son tour, ce qu’il a pu passer par le Salon jaune de figures diverses, toutes plissées en prière, toutes contraintes en physionomie doucereuse et hypocrite, toutes agitées par l’ambition, toutes convulsées par le désir.

Les grandes grâces, celles où la vie est en jeu, sont rares à demander et à obtenir. Ce n’est point tous les jours, par bonheur, que Joséphine a à recevoir des Madame de Polignac, et, pour sauver une tête, à forcer trois fois la porte du cabinet de Napoléon ; mais les petites grâces, celles où il s’agit d’une place, d’un titre, d’une pension ou d’une aumône, c’est le courant de l’existence, c’est, de midi à cinq heures, la raison d’être de Joséphine. Dès 1792, M. de Beauharnais étant simple maréchal de camp, et elle séparée de lui, elle recommandait. Elle recommandait durant la Terreur et mal lui en prit. Elle recommandait sous le Directoire et cela, dit-on, lui rapporta quelquefois. A partir du Dix-huit brumaire, c’est devenu une folie. De ses lettres de recommandation connues, sorties, mises au jour, on ferait des volumes. Dans les archives des ministères, impossible de remuer un dossier de personnel sans en faire tomber une lettre où Joséphine recommande. Qu’est-ce encore, ces lettres demeurées, près des paroles envolées ? Chaque fois qu’un ministre vient lui faire sa cour, elle lui parle d’un protégé et lui glisse un mémoire avec une pétition. A la Guerre, cela prenait avec Berthier, cela ne prit point avec Carnot ; il s’en alla tout droit trouver le Premier Consul, son portefeuille rempli de ces lettres de Madame Bonaparte : « Que voulez-vous que je fasse de cela ? demanda-t-il. — Conservez les lettres comme