Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/337

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

les anecdotes que l’on conte à ce sujet ne sont-elles point la plupart inventées pour justifier l’ingratitude ? Nul doute qu’elle ne soit singulièrement obligeante et portée à rendre service ; nul doute aussi qu’elle ne préfère tirer des lettres de change sur l’Etat ou sur la Cassette de l’Empereur à ouvrir sa propre bourse, réservée pour ses fantaisies. N’a-t-elle point raison ? Sa réputation de bienfaisante personne n’en est-elle pas comme augmentée ? et n’a-t-elle point ainsi tout l’agrément de recevoir les gens, de les renvoyer satisfaits, de s’attirer même quelques bénédictions au moins momentanées, sans qu’il lui en coûte autre chose que des mots, du papier et un peu d’encre ?


VI

À ces causeries, à ces visites, à ces audiences, à ces lettres, s’usent les heures. Arrive le moment de la toilette du soir, et c’est assez tôt, car le dîner est marqué pour six heures. L’Impératrice repasse donc dans ses appartenions, mais, avant, parfois, avec quelques femmes de son intimité, elle a pris le thé pour lequel l’office prépare chaque jour cinq entremets pour la joie des enfans qu’il est de mode d’amener et qui, toujours, s’en vont avec quelque joli présent.

A la toilette, les choses se répètent comme le matin ; Joséphine change de tout linge, mais, quand arrive la coiffure, le plus souvent, au lieu d’Herbault, c’est Duplan. Il la coiffe en cheveux, avec des perles, des pierres précieuses, des fleurs artificielles, souvent avec des morceaux de crêpe, de tulle, de mousseline, de velours ou de cachemire, brodés en or ou en argent. Puis, les femmes de garde-robe apportent dans de grandes corbeilles les robes à choisir : il est rare que Joséphine mette deux fois la même, mais toutes sont très décolletées et, même pour les tout petits jours, singulièrement élégantes. On s’y perd dans ces robes : il en est de toutes les couleurs, de toutes les formes, de toutes les étoffes : gaze, velours, satin, blonde, crêpe, crépon de barèges, tulle, peluche, cent trente robes du soir en une seule année, sans compter les tuniques, et en dehors des grands habits qui sont pour les cérémonies, les cercles, les spectacles et les bals. Et si l’on regarde les robes voltigeantes, ces tulles brodés d’argent ou d’or, garnis d’Angleterre, de dentelle d’argent, relevés de fleurs de toutes les nuances, ces blondes brochées de soie claire,