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lisérées d’argent, brodées d’or, ces gazes aux raies de tous les tons vifs, aux lames de tous les métaux, bien mieux, ces robes toutes d’Angleterre, ou de Point, ou de Malines, ou de Valenciennes, toutes collantes au corps, moulées aux formes, mais estompant leur ligne d’un clair nuage ou comme de halos colorés ; si l’on passe après aux robes de satin et de velours qui donnent la note grave dans ce concert d’élégance, robes de richesse et de poids, garnies de franges de perles, de blonde chenillée, d’hermine ou de martre, brodées des soies de tous les tons, d’argent, d’or et de pierres de couleur, alors tout papillote aux yeux, tout se brouille en l’esprit et il est impossible d’en rendre compte. D’ailleurs, fixe-t-on l’élégance de la femme et, par des mots, dessine-t-on cette chose, précise pourtant, qu’est le patron d’une robe ? donne-t-on l’idée du particulier et du rare qui en fait le chef-d’œuvre d’un artiste ? entre-t-on assez dans le détail des choses pour faire reconnaître ici la main d’un Leroy, et là celle d’une regrattière quelconque ? Bien plus encore que la notion des êtres, celle des vêtemens qui les habille, est fugitive et incertaine, et, à la distance d’un siècle, il est impossible de préciser l’abîme qui sépare deux robes d’étoffe semblable, de forme pareille, d’ornemens presque identiques, dont une est d’impératrice et l’autre de boutiquière endimanchée, dont une vaut deux cents louis et l’autre deux cents francs.

Napoléon tenait à ce que, le soir, Joséphine fût très habillée et le fût à son goût. Il avait la prétention de s’y connaître et critiquait sévèrement tout ce qui n’était point de la plus parfaite et de la plus nouvelle élégance. Il y portait une idée de gouvernement, voulant qu’on fit, en employant le velours et la soie, gagner de l’argent à sa bonne ville de Lyon : aussi, depuis le Consulat, n’admettait-il plus, pour le soir, les mousselines de l’Inde et les étoffes étrangères, et, par ce simple fait, était-il arrivé, dès 1806 à faire remonter l’exportation des soies ouvrées de Lyon à 500 000 kilogrammes, celle des velours de soie, seule, à plus de 21 000 kilogrammes. Il se guidait pour ses goûts de toilette sur l’intérêt des manufactures de Saint-Quentin, de Caen, de Chantilly, et, par le luxe dont sa femme donnait l’exemple, par le renom qu’avaient repris en Europe les modes françaises, l’exportation en avait, sur 1788, quadruplé en 1806, de 650 000 francs, était montée à deux millions et demi.

Pour surveiller cela, pour distraire son esprit, pour donner un agréable spectacle à ses yeux, parfois il descendait chez sa femme