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mais l’avenir lui ménage peut-être, là encore, des déceptions. Les musulmans reconnaissent dans le Cénacle le tombeau de David qu’ils révèrent comme l’un des prophètes précurseurs de Mahomet : le sultan n’est pas si absolu qu’il ne doive compter avec la ferveur religieuse de ses sujets ; il est obéi parce qu’il est le commandeur des croyans ; qu’il trahisse la foi en cédant aux chrétiens un sanctuaire vénéré et il peut provoquer un de ces mouvemens irrésistibles qui parfois secouent le monde de l’Islam. De plus, c’est une vieille règle du droit musulman qu’avant toute aliénation d’un bien foncier, les voisins puissent exercer une faculté de préemption ; or les voisins les plus proches du Cénacle sont les Pères Augustins de l’Assomption, qui, le cas échéant, pourraient, soutenus par nos consuls, revendiquer leur privilège. Le Cénacle, d’ailleurs, fut cédé en 1309 par un firman aux Franciscains latins qui n’en furent dépouillés qu’en 1551 par la violence des musulmans ; s’il doit être rendu aux chrétiens il semble que les fils de Saint-François aient tous les droits d’en redevenir les possesseurs. Les Pères de Steyl ne sont peut-être pas encore à la veille de devenir les gardiens du Cénacle restitué.

L’avenir dira l’issue du voyage à Jérusalem ; mais quelle qu’elle puisse être, il n’en reste pas moins évident qu’une vaste conspiration est formée depuis longtemps déjà contre le protectorat de la France. L’empereur Guillaume II en est le chef : il tient les fils des intrigues de toute sorte qui, dans le monde entier, mettent nos droits en péril ; il dirige les attaques qui battent en brèche notre influence. A Rome, à la Propagande, il a des alliés puissans ; grâce à eux il espère réussir à « nationaliser » les missions, c’est-à-dire à briser notre protectorat supranational pour en ré partir les morceaux entre les peuples chrétiens. L’Angleterre l’Autriche, l’Italie, la Belgique même[1], le secondent dans cette

  1. Rappelons ici quelques faits. — L’Angleterre, protectrice des missions protestantes, s’appuie volontiers dans certains pays sur les missions catholiques : en 1887, l’année même où M. Dunn lançait l’idée d’une nonciature à Pékin, le général Simmons et le duc de Norfolk venaient à Rome et demandaient que des évêchés anglais catholiques fussent créés dans le nord-est de l’Afrique et soustraits à la juridiction du primat d’Afrique, Mgr Lavigerie, archevêque de Carthage. Ils n’obtinrent rien ; mais, peu de temps après, avaient lieu les massacres de l’Ouganda. — Les prêtres de Saint-Joseph du cardinal Vaughan sont établis dans le vicariat du Haut-Nil.
    L’Autriche a hérité de Venise le protectorat de l’Église copte : elle soutient de son influence et de son argent Mgr Macaire, patriarche copte, qu’elle a su faire choisir pour une ambassade auprès de Ménélik. (C’est à ce choix d’un protégé de l’Autriche qu’a été surtout dû l’insuccès de cette tentative.) — L’Autriche entretient en outre, avec l’Italie, d’importantes missions dans le Soudan. Non contente du protectorat qui lui est officiellement reconnu dans la Haute-Égypte, « elle s’est efforcée d’étendre son influence jusqu’au Caire en y encourageant le séjour de Mgr Sogaro, vicaire apostolique du Soudan, et a réclamé que l’œuvre de la Propagation de la foi eût à Vienne un centre spécial. » Cf. G. Goyau, introduction à l’ouvrage de M. de Béhaine, cité ci-dessus, page LXXII.
    A Florence, l’Association nationale de secours aux missionnaires italiens a été fondée ; elle est encouragée et subventionnée par le gouvernement royal.
    La Belgique a des missionnaires dans l’État libre du Congo. Le roi Léopold incline volontiers, on le sait, du côté de l’Allemagne. Est-ce à l’instigation de l’empereur qu’il chercha à obtenir pour la Belgique un cardinal de curie ? Il alléguait l’intérêt des missions : il s’agissait plutôt d’avoir au Conclave un cardinal ayant « le pied romain, » et dévoué à d’autres intérêts que ceux de la France.