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L’impunité et les privilèges assurés aux santons en grossissent démesurément le nombre ; beaucoup de pauvres diables et de paresseux, des ambitieux même, simulent la folie pour obtenir les faveurs populaires.


II

Ce qui plus que toute autre chose témoigne de la ferveur religieuse des Marocains, c’est le rôle très grand que jouent parmi eux les associations religieuses ou associations de khouan (frères). On sait que ces confréries sont une des manifestations les plus remarquables, une des forces toujours agissantes de la religion musulmane. On n’en compte pas moins de quatre-vingt-dix, s’enchaînant les unes aux autres, les unes datant des premières années de l’Islam, d’autres d’une date beaucoup plus récente, les unes réduites à rien et presque mortes, d’autres en pleine vie ; il en naît même sous nos yeux, car si, comme on l’a remarqué, cette religion du Prophète a surgi en plein cœur des temps historiques et pour ainsi dire près de nous, elle a aussi ce privilège d’avoir des saints vivans et de fournir encore des miracles.

Mahomet avait dit que la prière en commun est vingt-sept fois plus efficace que la prière dite par chacun isolément. Quelques-uns des premiers adeptes de sa doctrine, gens de la Mecque et de Médine, imaginèrent de se grouper pour se mortifier et prier ensemble, se secourir les uns et les autres ; ils mirent leurs biens en commun. Les premiers successeurs du Prophète, Abou-Bekr et Ali, s’entourèrent de petits groupes de ce genre. Les adeptes s’appelaient soufi[1], d’un mot oriental qui veut dire les parfaits, les purs, ou encore fakir, c’est-à-dire pauvres, parce qu’ils renonçaient aux richesses de la terre. Ils professaient un grand détachement des choses humaines, une soumission absolue à la volonté de Dieu ; ils cherchaient par l’abstinence, les veilles, la prière, l’extase, à anéantir la personnalité afin d’atteindre à l’identification avec Dieu. C’étaient les mystiques de l’Islam.

Les confréries, car elles prirent bientôt ce nom, étendirent peu à peu leur action, eurent un nombre de plus en plus grand d’adeptes. Elles offraient un refuge, un milieu de ferveur et de

  1. Il y avait des soufis, bien avant l’islamisme, aux Indes, en Perse, chez les Grecs. Le soufisme ou mysticisme est en réalité île toutes les religions ; mais ce sont les premiers philosophes et ascètes arabes qu’on désigne surtout sous ce nom.