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frères repoussent leurs ennemis et se défendent contre les malheurs qui les menacent… »

Après l’observation du dikr, qui a pour résultat d’éteindre la pensée et d’exciter le fanatisme, ce à quoi les cheikh et les moqaddem tiennent principalement, c’est à faire payer régulièrement la ziara par les fidèles. C’est une offrande ou mieux une contribution fournie tantôt en argent, tantôt en nature (nègres, négresses, chameaux, moutons, chèvres, beurre, dattes, blé, orge, etc.) ; chacun donne selon sa fortune pour les besoins de l’ordre et l’entretien de la zaouïa ; un fonctionnaire marocain en 1860 déposait aux pieds d’Abd-es-Selam, sous les yeux du voyageur Rohlfs, une offrande de 5 000 francs ; les plus pauvres même tiennent à donner quelque chose. Quand, par suite de la misère ou parce qu’ils sont devenus moins fervens, les khouan ne s’exécutent pas assez vite, les moqaddem vont les relancer ; personne n’ose refuser à ces serviteurs du cheikh, car ce serait s’attirer la vengeance du saint.

Les choses se passent ainsi même en Algérie, où le gouvernement a dû parfois intervenir pour empêcher la ruine de nos tribus. « Elles payent les ziaras avec plus ou moins de plaisir ; elles désirent toutes, plus ou moins, ne pas se trouver à portée des marabouts ou de leurs exactions ; mais le respect religieux est tel qu’elles se soumettent à tout ce qu’ils exigent plutôt que de réclamer la protection de l’autorité française contre leurs abus. Les Trafi, comme les Chambaa, l’ont maintes fois déclaré eux-mêmes[1]. »

Au Maroc la situation est bien autre ; les chefs d’ordre religieux sont les vrais maîtres du pays ; nul n’oserait se soustraire à l’obligation de la ziara, sous peine de se voir dénoncé par les frères, abandonné, meurtri peut-être et dépouillé. Aussi peut-on affirmer que les ziara, bien plus que les impôts perçus par le sultan, sont la cause principale de la misère des populations.

Les cheikh, enrichis par les ziara, ayant à leurs ordres des masses crédules et dociles, sont des personnages tout-puissans. Sans doute quelques confréries à l’origine ont eu un but exclusivement religieux ; mais dans d’autres le réveil de la foi a pu n’être qu’un prétexte pour obtenir l’autorité temporelle ; les premières même ont peu à peu changé de caractère ; d’ailleurs si

  1. Niox, Géographie physique de l’Algérie, et Gourgeot, Situation politique de l’Algérie en 1882.