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quelques grands maîtres se consacrent exclusivement aux choses religieuses, ils peuvent à tout moment avoir des successeurs plus préoccupés des choses humaines. Par les liens qui unissent si étroitement les frères entre eux et avec le cheikh, par les signes qui leur permettent de reconnaître des frères dans des inconnus et en dehors de leur pays, par les intérêts matériels qu’elles protègent, les confréries religieuses sont devenues des sociétés politiques, parfois même des sociétés secrètes, très puissantes.

Elles ont déjà produit bien des maux. Nous avons vu qu’elles ruinent souvent les populations. Par leur formalisme étroit, par leurs pratiques qui annihilent la pensée, elles étouffent les intelligences, et quelque jour on démontrera peut-être que c’est à elles qu’est due la rapide décadence de cette civilisation arabe qui, pendant quelques siècles, a émerveillé le monde. Ce qu’il faut remarquer surtout, c’est qu’elles sont un foyer de fanatisme, de haine, d’excitations contre les chrétiens. Quelle que soit la tolérance apparente de quelques-unes, toutes préparent à la guerre sainte contre les infidèles, parce que le réveil de la religion coranique est leur but commun, et que cette religion, quoi qu’on en ait dit, commande d’abord la haine de tout ce qui n’est pas musulman. En Algérie, dans la guerre contre Abd-el-Kader, dans les insurrections qui ont éclaté depuis, on a constaté la puissance de leur action ; elles peuvent nous créer encore bien des difficultés, soit dans les pays qui nous sont soumis, comme la Tunisie et le Soudan, soit dans ceux qui, comme le Maroc, se ferment à notre civilisation.


III

Les confréries religieuses sont très nombreuses et très puissantes au Maroc ; une vingtaine environ y sont nées et s’y sont développées ; celles même qui ont surtout leur adeptes en Algérie, en Tunisie, en Tripolitaine, les Tedjinya, les Rahmanya, les Derkaoua, les Aissaoua, les Cheikhya, les Senoussia ont une origine marocaine, soit par la nationalité de leurs fondateurs, soit par la source première de leurs doctrines.

La plus importante de toutes, celle dont les khouan sont le plus nombreux, et les zaouïas disséminées sur la plus grande surface, depuis Tanger jusqu’au désert, est celle des Taybiya[1]. On

  1. On dit plus souvent les Taybin que les Taybiya ; mais cette dernière forme est plus correcte. On appelle quelquefois les khouan de cet ordre Thouama, ou adeptes de Sidi Thami, un des premiers saints de la famille de Moulei-Tayeb.