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c’est au fond celle des Derkaoua et de la plupart des ordres Chadelya auxquels Es-Senoussi était affilié, — est que le pouvoir temporel n’est qu’une dépendance du pouvoir spirituel, qu’il n’y a d’autorité légitime que celle du Mahdi, qu’il faut combattre par les armes aussi bien le sultan des Turcs que les puissances infidèles, et que, si on ne peut espérer de réussir par la force, le croyant doit s’éloigner des pays où règne le chrétien. Les massacres de nos voyageurs au Sahara semblent tous avoir été provoqués par les Senoussya.

La propagande extraordinairement active des Senoussya s’exerce surtout au désert et dans le Soudan. En Algérie, ils se cachent avec soin et on ignore leur nombre ; il semble qu’ils ont déjà quatre zaouïas au Maroc et que leurs khouan y sont nombreux[1]. Mais ils peuvent le devenir plus encore ; la communauté de doctrines avec les Derkaoua, les Naceria et autres groupes Chadelya, peut du jour au lendemain leur amener des millions d’adeptes. Ainsi ils auraient tourné notre Algérie par le sud ; avec leurs foyers de propagande en Tripolitaine, à Radamès, chez les Touareg, où leur influence a supplanté celle des Tedjinya, au Touat où elle l’emporte depuis peu sur celle des Taybiya, à l’Oued Draa et au sud du Maroc où ils auraient avec eux les Derkaoua et Naceria, ils nous environneraient d’ennemis fanatiques. Et avec eux, ce n’est pas seulement la lutte à main armée que nous aurions à redouter, mais une opposition sourde et patiente qui chez nos sujets d’Algérie rendrait stériles tous les efforts que nous faisons pour relever le niveau moral des musulmans et les rapprocher de nous. Nos administrateurs et nos diplomates ont donc un intérêt supérieur à connaître les confréries religieuses, leur rôle et leurs tendances, les influences qu’elles peuvent subir, et ce ne sera pas trop pour sauvegarder notre avenir dans l’Afrique du Nord d’une surveillance très perspicace et de tous les instans.

Notre gouvernement général d’Algérie n’a point failli à cette partie de sa mission. C’était un conseiller de ce gouvernement, M. Rinn, qui le premier avait fourni des renseignemens complets et sûrs sur les confréries et voici que deux fonctionnaires

  1. Lenz, dans son voyage en 1880, parle à plusieurs reprises de Senoussia : ceux qu’il rencontra, couverts de haillons et mendiant, semblent plutôt être des Derkaoua. Voir aussi l’étude de M. P. d’Estournelles de Constant sur les Sociétés secrètes chez les Arabes, dans la Revue du 1er mars 1886.