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Journal officiel. Ce ne sont point seulement ses « réprouvés » qui le peignent sous ce jour, ce sont ses « élus. »


I

Une élection est une comédie en trois actes, avec un prologue et un épilogue. Prologue : la Confection des listes. Acte Ier : Avant la période électorale ; préparation de la scène, introduction des personnages, et exposition de la pièce. — Acte II : Pendant la période électorale ; machinations, provocations, combats, monologues et dialogues, chœur formidable : c’est le nœud du drame, à la fin, revirement. — Acte III : le Scrutin ; c’est le dénouement : alternatives d’espoir et de désespoir, joie et douleur. — Épilogue (à la Chambre) : la Vérification des pouvoirs. Souvent il y a ballottage ; alors la comédie s’allonge, de trois actes passe à cinq, mais ne s’élève ni ne s’élargit, le quatrième et le cinquième acte n’étant que la répétition, dans une note plus violente, du deuxième et du troisième. À cette comédie ne manque aucun des types masculins du théâtre classique, sauf l’amoureux, et encore pas toujours ; mais toujours vous y pouvez applaudir ou siffler le financier, le père noble, le raisonneur, le matamore, la ganache et le traître.

Une salle basse dans la Mairie d’un arrondissement de Paris, entre le 1er et le 10 janvier. Ameublement sommaire, des murs nus, point de rideaux aux fenêtres, des chaises de paille, et une table de bois noirci. Autour de cette table, trois hommes sont assis : la « commission administrative » délibère. L’homme grave du milieu, c’est le Maire ; il préside ; à sa droite, le conseiller municipal du quartier, membre de droit ; à sa gauche, un délégué de l’administration, nommé par le Préfet sur la proposition du maire. Ils ont devant eux un tas de dossiers que, de temps en temps, ils compulsent d’un doigt hâtif : inscriptions et radiations d’office. Cela s’appelle légalement dresser « la liste préparatoire ou rectificative. » Bien entendu, cette liste « préparatoire, » ce ne sont point ces consuls et ces édiles qui l’ont eux-mêmes préparée. Dans le courant d’octobre ou de novembre, l’employé spécialement chargé du service des élections a mobilisé ses fiches dans leurs boîtes ; il en a changé le classement ; elles étaient rangées par ordre alphabétique ; il les a mises par rues et par maisons ; puis il a mandé les « agens recenseurs, » — ce sont