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MŒURS ÉLECTORALES

COMMENT SE FAIT UNE ÉLECTION EN 1898

« Le suffrage universel a prononcé,… le suffrage universel, notre maître à tous… Par lui, le pays s’est fait entendre, a exprimé sa volonté… Il n’y a plus qu’à obéir. » Et à ce maître, comme à tous les despotes, la foule de ses courtisans chante des hymnes et casse des encensoirs sur le nez. Pendant longtemps, c’est à peine si le mode lyrique a suffi à célébrer sa gloire ou ses vertus ; maintenant, les augures parlent encore de « la dignité » et de « la sincérité » du suffrage universel, mais ils commencent eux-mêmes à en sourire. Pour sa « sincérité » et pour sa « dignité, » sans lyre et sans encensoir, nous voudrions dire de lui, lui dire à lui, la vérité. On ne manquera pas de crier que nous l’insultons : ceux qui l’insultent, ce sont ceux qui le trompent. Nous, nous n’avons pas à le flatter, et si nous eussions pu avoir à le maudire, — comme le proverbe permet de maudire ses juges, — les vingt-quatre heures en sont passées. Au lieu de la poésie du suffrage universel, nous voudrions donc en faire l’histoire ; du « corps électoral » décrire fidèlement l’anatomie ou la physiologie : ainsi fonctionne-t-il, se meut-il et vit-il ; tracer, enfin, de ce Prince à dix millions de têtes un portrait qui ne fût ni embelli, ni enlaidi, ni transfiguré, ni défiguré. S’il pouvait ici se voir tel qu’il est ! — Or, ce qu’il est, le voici, d’après des souvenirs tout frais, et selon les documens, rapports, débats parlementaires ; le voici reproduit trait pour trait, photographié sur le