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restent. Plus sensible qu’on ne croit à l’art oratoire, et trouvant dans un jour cent occasions d’imposer son avis, il fonde ou renverse une réputation. Ménagez-le ou il ne vous ménagera pas. Surtout ne le prenez pas de haut avec lui ; lorsqu’il vous « donne sa salle. » Consommiez-vous toute sa boutique, il estime que vous êtes son obligé et qu’il n’est pas le vôtre ; ne le quittez pas sans le remercier et sans saluer sa femme : si, par hasard, vous l’avez oublié, dès le lendemain excusez-vous. Ses cliens le consultent, et sa femme le mène. Vous retrouverez, pendant la période électorale, l’effet d’un compliment adroit, fait à propos.


III

Mais le décret est à l’Officiel, la période électorale est ouverte. Dès le matin, en exécution de la loi sur les candidatures multiples, les adversaires se sont précipités, de peur de perdre une minute, de se mettre en retard et de ne pas avoir les bons coins, les bonnes places sur les murailles. Les colleurs « sortent » aussitôt. Ils vont d’abord poser « les papillons ; » — ce sont les bandes quart ou demi-colombier qui portent seulement le nom du candidat, ses qualités, et l’étiquette politique sous laquelle il se présente. La profession de foi, de format colombier ou double colombier, ne sera collée qu’un peu plus tard. C’est la pièce de résistance dans cette littérature électorale. Chaque candidat a du reste sa tactique, et tandis que l’un se presse pour être sûr d’arriver le premier, l’autre attend pour se régler d’après ce qu’auront dit ses concurrens. Cette première affiche, la profession de foi, est un exposé de principes et garde une certaine tenue. Elle est à l’habitude de la plus plate banalité, bourrée de tous ces lieux communs usés, de toutes ces formules creuses et de toutes ces généralités vagues qui n’ont pas leurs pareils pour anémier, affaiblir et, à la longue, tuer l’esprit politique d’un peuple. Mais, du moins, elle est décente : on peut la lire, et même on le doit : on n’en reverra pas d’aussi convenable.

A partir de ce moment, en effet, où la période électorale est ouverte, il n’est plus dit, en France, un mot loyal, courtois ou sérieux : la moitié du pays accuse, dénonce et injurie l’autre. Un vent de folie s’est levé qui enfièvre jusqu’aux gens de sens rassis. Les réunions publiques montent la discussion à un ton suraigu d’où elle ne redescend plus. Qui ne sait ce que sont ces réunions