Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/424

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

publiques ? Dans un préau d’école mis gratuitement à la disposition du candidat, pourvu qu’il en ait, à l’avance, fait la demande à la mairie, cinq à six cents personnes sont entassées : quelques douzaines, aux premiers rangs, assises sur les bancs qui servent de coutume aux enfans, assises ou plutôt pliées, les jambes traînantes, car les bancs sont trop bas pour elles : la plupart debout. Tout le monde fume ; une atmosphère épaisse et acre. Dans le fond, quelques femmes, que ce spectacle passionne. Le pupitre du maître sert à la fois de bureau et de tribune. Au milieu trône le président, qu’on a tout à l’heure désigné non sans peine, tumulte et contestation. C’est un gaillard de haute taille, de grosse voix et de forte poigne ; il est armé d’un manche à balai ou d’une tringle de fer dont il assène sur la table de si formidables coups que le bois vole en éclats et retombe tout autour en une grêle fine. Deux assesseurs le flanquent à droite et à gauche, l’un placide, qui ne bouge pas et qui, les paupières lourdes, a l’air de sommeiller ; l’autre, sans cesse en mouvement, et qui surveille la salle.

On a jeté dans un chapeau autant de bulletins qu’il y a de candidats présens ou non, et l’on tire au sort l’ordre dans lequel ils seront admis à s’expliquer. S’expliquer, c’est beaucoup dire. A l’appel de chaque nom, tempête d’applaudissemens et de huées, car les manifestations ici n’ont rien de spontané et chaque candidat a eu soin de « faire sa salle ; » et chacun a, rassemblés dans un coin ou disséminés aux quatre coins, ses hommes à lui, qui acclament ou vocifèrent, selon que c’est lui ou que ce n’est pas lui. Au besoin, on se donne le plaisir d’y ajouter ce qui peut s’appeler « un orphéon électoral, » — citoyens aux poumons solides et au vocabulaire plus abondant que choisi, dont le moindre défaut est sans doute de n’être pas électeurs dans l’arrondissement, et peut-être même de ne l’être nulle part, ceux-ci parce qu’ils sont encore trop jeunes, et ceux-là parce que la vie est pleine de vicissitudes. Qu’il y ait deux ou plusieurs candidats, l’un d’eux est le candidat clérical, — on est toujours le clérical comme le réactionnaire de quelqu’un, — et pour être baptisé « clérical » il suffit de n’être pas un mangeur de curés et de croire que la société civile peut être indépendante, et même que le pouvoir civil peut voir sauvegardée sa suprématie, sans que la religion soit taquinée, opprimée et persécutée. Tout à coup l’orphéon entonne : Esprit-Saint, descendez en nous ! C’est le candidat « clérical » qui va