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prendre la parole, si on le lui permet, mais l’on juge plus prudent de ne pas le lui permettre. Cependant il essaye, et il est arrêté par des cris forcenés : « A bas la calotte ! » En plaisantant, il a une chance de s’en tirer ; qu’il se fâche, et il est perdu. On ne passe l’indignation qu’aux militaires, mais pour eux c’est une autre chanson. On sonne et l’on bat aux champs, on commande : « Portez armes ! » On hurle : « Pas d’observations ! Quatre jours de salle de police ! » avec accompagnement de jurons assortis. — Citoyens, déclare soudain un brave homme d’électeur, honnête et convaincu, si vous ne voulez pas écouter le citoyen X… (on fait de ce qualificatif une consommation effroyable ! ), je vous garantis bien que le citoyen Z… ne se fera pas entendre. — Non ! non ! bravo ! Et dans le dessein louable de rétablir l’ordre, le désordre est augmenté d’autant, jusqu’à ce qu’une bande d’anarchistes, qui ont envahi le local, et qui méprisent également tout ces « votards, » comme ils disent, mettent tout le monde d’accord en chantant la Carmagnole : « Vive le son ! Vive le son du canon ! »

Le manche à balai du président décrit des moulinets terribles, se lève, tourne, s’abat et pulvérise le bord de la tribune. Les plus excités se sautent mutuellement au collet : « A la porte ! » et de main en main, on les pousse vers la sortie. Il se produit alors comme une détente dont on profite pour poser des questions aux candidats qui, dans les vingt minutes qu’on leur avait avarement mesurées, et que les interruptions ont réduites à cinq, n’ont pu tout dire, et, en effet, n’ont dit rien ou pas grand’chose. A part ce qui peut y être introduit de local ou de personnel, — et il y en a toujours bonne mesure, — ces questions sont partout les mêmes ; on en pourrait faire un recueil dans le genre du Recueil des questions posées au baccalauréat : « Je voudrais savoir ce que le candidat pense de la séparation de l’Eglise et de l’État ? ou de la révision de la Constitution ? ou de la suppression du Sénat ? » — Puis d’autres, parmi lesquelles il n’en manque pas de saugrenues ou d’absurdes. Et le brouhaha redouble, tandis que, dans la confusion portée à son comble, le président s’égosille à lire un ordre du jour indéchiffrable où l’on affirme que des milliers de citoyens, après avoir entendu les citoyens X…, Y… et Z…, ont acclamé et se sont engagés à faire triompher la candidature de… ; » la candidature de celui qui avait amené le plus de partisans, ou qui a su les faire manœuvrer avec le plus de discipline ou d’audace.