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et ambitionne de jouer le rôle de protecteur du catholicisme et d’ « avoué » du Saint-Siège. Le rejeton très « moderne » de la vieille souche des Hohenzollern va se mettre en route pour Jérusalem ; pèlerin pieux, il n’imitera pas l’incrédulité scandaleuse du grand empereur Hohenstaufen ; sans doute au contraire, il offrira l’épée de l’Allemagne pour le service de l’Eglise. Il fera étalage de sa force matérielle pour séduire le vieillard auguste qui a dans le monde la garde des forces morales ; il ira en Orient les mains pleines de promesses et la bouche remplie de paroles sonores, mais il éprouvera qu’aujourd’hui comme alors, le mot dit par Frédéric II à l’avènement d’Innocent IV reste vrai : « Un pape ne saurait être gibelin. »

Qu’il le veuille ou non, qu’il soit engagé dans le Culturkampf ou que, comme aujourd’hui, il cherche à faire de l’Eglise catholique un instrument de règne, le souverain de l’Allemagne représente dans le monde le principe et la force protestante. Si l’on a pu dire que « le catholicisme c’est la France, et la France, c’est le catholicisme, » il n’est pas moins vrai d’ajouter qu’au même point de vue, l’Allemagne, mère et nourrice de la Réforme, peuplée de deux tiers de protestans, ne saurait tenir longtemps dans l’histoire le personnage de patronne du catholicisme : il y aurait dans sa politique trop de contradictions et, parmi le peuple, trop de murmures. Déjà les tendances romaines de Guillaume II ont été, dans l’Allemagne luthérienne, critiquées et blâmées. Les pasteurs ont saisi l’occasion de l’Encyclique de Léon XIII sur le bienheureux Pierre Canisius pour manifester solennellement leur dépit ; ils voient avec une jalousie chagrine les faveurs dont le gouvernement comble les missions catholiques ; ils réclament pour les apôtres de la Réforme les mêmes avantages. Guillaume II donnera à ces mécontentemens une satisfaction d’autant plus éclatante que ses négociations avec le Saint-Siège ne lui ont apporté que des déceptions. Autour de lui, à Jérusalem, il a convié les délégués de tous les princes et de toutes les églises évangéliques ; l’inauguration du sanctuaire du Sauveur, édifié sur les ruines de Sainte-Marie-la-Grande, prendra le caractère d’une imposante manifestation protestante. Comme jadis à la Wartbourg et à Wittenberg, Guillaume II apparaîtra comme le summus episcopus de l’Allemagne réformée et il viendra affirmer le triomphe du libre examen et de l’antipapisme sur cette terre où le Christ, choisissant entre tous le pêcheur Simon, l’appela