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zèle dont on pouvait tout attendre, protestant de son inaltérable attachement aux personnes en place, et, au besoin, de la sincérité de ses convictions religieuses : il ne lui a pas fallu moins de quarante années pour reconnaître qu’on ne voulait pas de lui. Au surplus, il ne réservait pas à la France ses bons offices ; il les tenait également prêts pour l’empereur d’Allemagne ou pour le roi de Prusse. Il ne s’arrêtait pas à la question de nationalité. Les missions auxquelles il pouvait prétendre n’étaient naturellement pas des missions officielles ; mais le rôle d’agent officieux n’avait rien pour lui déplaire. Il aimait le secret des négociations confidentielles. Il y trouvait une satisfaction à ce goût de l’intrigue qui chez lui est essentiel, un emploi pour ses merveilleuses ressources d’activité et d’agilité. Il y prenait surtout ce plaisir très particulier qui consiste à jouer un personnage double et à dépister l’interlocuteur. Aussi bien le temps était passé où les gens de lettres se réduisaient à n’être que des faiseurs de livres. Poètes, écrivains de théâtre, beaux esprits et causeurs, la politique les tente et ils aspirent à diriger les affaires. Ajoutez que jamais plus qu’au XVIIIe siècle et nulle part plus que parmi les philosophes, on ne se montra jaloux de l’intimité des princes. Pour ce qui est de Voltaire, il ne se passait pas aisément de « l’atmosphère des cours ;  » il l’allait respirer à Berlin ou même à Luné ville, faute d’être assez bien accueilli à Versailles ; car, suivant sa remarque, c’était sa destinée de passer de roi en roi. Cette diplomatie occulte lui servait justement à remplir sa destinée.

Tous ces points, déjà plus ou moins connus, sont aujourd’hui mis dans leur plein jour grâce aux beaux travaux d’histoire diplomatique de M. le duc de Broglie. Naguère, traitant des rapports de Frédéric II et de Marie-Thérèse, de Frédéric II et de Louis XV, il avait eu plus d’une occasion de mentionner le nom de Voltaire, et l’étude des velléités diplomatiques du grand écrivain lui avait fourni de piquans chapitres. Venant ensuite à exposer les causes du renversement des alliances qui rapprocha tout à coup la France et l’Autriche et changea en alliées ces ennemies séculaires, l’historien s’étonna de ne pas avoir à signaler l’intervention de Voltaire. Était-il possible qu’il fût resté indifférent à un événement aussi considérable et qui le touchait de si près ? L’hôte de Frédéric, au lendemain d’une intimité et d’une brouille pareillement bruyantes, n’était-il pas désigné pour tenir quelque emploi dans un drame si compliqué et fertile en péripéties ? N’avait-on pas songé à utiliser sa connaissance du caractère de Frédéric, et sa rancune contre d’indignes procédés ? Avait-il manqué à indiquer le parti qu’on en pourrait tirer ? C’est à ces questions que répond