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ne la connais pas,  » interrompit Frédéric. Cela n’empêche pas Voltaire d’écrire qu’il s’est acquitté de la commission et qu’elle a été bien reçue.

Dans ces lieux jadis peu connus,
Beaux lieux aujourd’hui devenus
Dignes d’éternelle mémoire,
Vos complimens sont parvenus
Au favori de la Victoire.
Vos myrtes sont dans cet asile
Avec les lauriers confondus.
J’ai l’honneur de la part d’Achille
De rendre grâces à Vénus[1].

C’était prendre à l’égard de la vérité une licence que la poésie autorise peut-être. A part lui et dans la prose du sentiment intime, Voltaire dut convenir que, d’un côté comme de l’autre, on ne l’encourageait pas.

Cependant ce qui d’abord n’avait dû être qu’un séjour passager se changeait en établissement. Voltaire devenait, non plus l’hôte, mais le domestique du roi de Prusse aux appointemens de vingt mille francs. Il recevait le titre de chambellan et portait la clé d’or en sautoir. Voltaire avait trop le goût des titres honorifiques et la manie des décorations pour se refuser à des offres si séduisantes. Il mit toute son habileté à ne pas se faire déposséder de ses anciens titres, tandis qu’il en acquérait de nouveaux, et réussit, en devenant chambellan du roi de Prusse, à rester gentilhomme du roi de France. Aussitôt il est repris par sa chimère diplomatique et termine une lettre à Puisieulx par ce post-scriptum : « Permettez-moi d’ajouter qu’il peut y avoir des occasions où un Français de plus auprès de Sa Majesté prussienne, zélé pour le roi et pour sa patrie, pourrait ne pas être inutile. Je ne suis guère en état de rendre service, je n’ai que de la bonne volonté et je suis sûr que des sentimens aussi purs que les miens trouveront grâce auprès de vous[2].  » Naturellement c’est sur l’appui de Mme de Pompadour qu’il continue de compter. Il lui fait représenter qu’ils ont, elle et lui, les mêmes ennemis. Il y a une sorte d’alliance entre la maîtresse du roi et le parti philosophique. On ne devinerait pas, si Voltaire n’avait pris soin de le dire, quelle est l’approbation qu’il se préoccupe de mériter en écrivant le Siècle de Louis XIV. « Je puis me tromper, mais je me flatte que si le roi avait le temps de lire cet ouvrage, il n’en serait pas mécontent. Je crois surtout que Mme de Pompadour pourrait ne

  1. Voltaire à Mme de Pompadour, 10 août 1750.
  2. Voltaire à Puisieulx, 17 août 1750.