Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/493

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SOTILEZA. 487 qu’y avaient distillé les paroles de toute sa famille?... Pourquoi ne serait-ce point la vérité ce qu’il repoussait comme une ca- lomnie? xVndré, riche et élégant jeune homme,... Solileza, orphe- line et pauvre, attirant tous les regards,... oncle Mcchelin et sa femme, deux u bienheureux de Dieu » et très reconnaissans à l’autre. Et si l’autre essayait, que résulterait-il de tout cela? Et si ce n’était pas pour essayer, pourquoi allait-il là si souvent? Quels jours et quelles nuits passa le malheureux dans cette angoisse ! Il ne faisait plus qu’observer André quand il le rencon- trait au rez-de-chaussée, surveiller la rue pour l’y surprendre à des heures inaccoutumées, et regarder Sotileza quand elle était à côté d’André... Les regards les plus innocens et les paroles les plus simples lui semblaient autant do preuves ; et le moindre bruit, pendant la nuit, dans l’escalier ou le vestibule, le faisait sauter de son dur lit pour aller écouter par une petite fente de la porte. Par bonheur pour tous, il ne se risqua pas à dire une parole, quoiqu’il l’eût bien souvent sur les lèvres, au ménage d’en bas, pas même pour se soulager, car cela n’aurait servi de rien. Mais en re- vanche il arrêta un soir André au milieu du trottoir, et l’accom- pagnant, avec sa permission, jusqu’au Paredon, dont l’esplanade était déserte à ce moment, il lui exprima, tout bas et à sa ma- nière, tout ce qui le torturait, là dedans, lui enlevant l’appétit et le sommeil. André demeura stupéfait, car il ignorait les véritables motifs des alarmes de Cleto. Cleto, gardant pour lui la moitié de son secret, n’avait allégué que la réputation d’une honnête famille et le souci qu’il en prenait. Sans doute pour qu’un garçon aussi rude que Cjeto s’arrêtât à de telles bagatelles, il fallait que la ca- lomnie eût déjà fait beaucoup de chemin. Il l’interrogea donc; et, quoique Cleto l’assurai qu’il l’avait seulement entendu dire par les gens de sa famille, comme les deux femmes suflisaient à en propager le bruit par tout le peuple, il n’en fut pas plus tranquil- lisé. Mais il nia avec une solennelle sincérité; et, serrant ht main de Cleto dans la sienne, il lui jura, devant la face de Dieu, que jamais pensée si infâme n’avait seulement efllcuré son esprit. Le fils de Mocejon, devant une sincérité pareille, vit s’ouvrir la voûte céleste, et il ne lui resta pas même dans l’àme une trace du souj)- çon qui l’avait si cruellement tourmenté. Mais combien fragile, misérabh; et concupiscente, comme dirait le père Apollinaire, est l’humaine condition! Cet André si