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488 REVUE DES DEUX MONDES. scrupuleux, si « hidalgo, » si précautionné, si prudent, si plein d’abnégation au récit des sombres confidences de Cleto sur l’es- planade du Paredon, une fois dans i’étroitesse de sa chambre, au milieu du silence et de l’obscurité de la nuit, analysant les mo- tifs qu’il avait eus de fréquenter le rez-de-chaussée d’oncle Meche- lin, commença à être tout autre, quoique, disons-le à l’honneur de la vérité, sans s’en rendre le moindre compte. Il avait vu Soti- leza grandir, et d’enfant vagabonde se transformer peu à peu en jeune fille éclatante et superbe ; mais jamais il ne lui était passé dans la tète une idée qui eût le rapport le plus lointain avec les intentions que lui attribuaient les médisantes sardinières de la rue Haute. De là, son indignation sincère en entendant la confi- dence de Cleto, et sa résolution instantanée de s éloigner progres- sivement de l’humble logis où sa présence compromettait l’hon- neur d’une jeune fille. Mais quand fut dissipée la lueur de cet éclair, l’image de Sotileza reparut à ses yeux, non sous les traits de sa petite compagne d’enfance ou de sa « protégée » d’autre- fois, mais telle qu’elle était maintenant, dans tout l’éclat de sa grâce et de sa beauté. En s’irritant des soupçons calomnieux des femmes de Mocejon, il en vint alors insensiblement à se dire : « Et pourtant... si c’était possible! » Et à peine se l’était-il dit, que par une contradiction bien naturelle, et trop fréquente, l’in- dignation le reprenait qu’on le crût capable du crime dont son imagination venait de caresser l’idée. Il revint ensuite à son projet de s’éloigner peu à peu du rez- de-chaussée; et, sans oublier une minute l’orpheline qui y avait été recueillie, il se demanda ce que penseraient de sa conduite oncle Mechelin et sa femme, si bons et si généreux. Leur en dé- clarer les motifs, c’était les frapper en plein cœur; les leur cacher, c’était se rendre coupable d’un manque d’affection et de bonne amitié. Et tout cela, pourquoi? Parce qu’il avait plu aux deux effrontées du cinquième étage de donner à une action noble et gé- néreuse une interprétation coupable ! Et la tranquillité d’une con- science pure devait être à la merci des jugemens de deux femmes sans frein! Et il devait subordonner ses joies permises et ses plaisirs innocens aux bavardages de deux calomniatrices ! Jamais! Par conséquent, il tiendrait bon compte de l’avis, sans doute; mais il ne donnerait pas à l’ignoble famille de Mocejon la satisfac- tion de se soumettre à ses désirs. Il prendrait les précautions qu’il faudrait pour enlever tout prétexte aux méchans bruits; il