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limites de la Grande-Bretagne. Les Anglais sont même arrivés à cette idée que, n’importe où sous le soleil, des hommes peuvent se faire leur patrie. Tandis que la fortune financière de la France repose sur l’épargne, celle de l’Angleterre a surtout pour principe l’extension des besoins, qui exige un double travail en vue d’une double production. De là, cette expansion indéfinie de l’activité individuelle ; de là aussi l’expansion de la vie coloniale. « Pour le Français, le far-west, c’est Paris. » Dans l’histoire des Anglais, l’Angleterre proprement dite n’occupe qu’une place restreinte. Encore aujourd’hui, outre qu’elle détient l’Egypte, l’Angleterre pousse ses troupes, d’une part, à travers le Soudan égyptien, de l’autre vers le Soudan de Tchad ; dans le Sud, elle soutient les entreprises les plus aventureuses ; de trois points difîérens, elle semble ainsi marcher, par une action convergente, à la conquête de toute l’Afrique. Elle n’oublie pas non plus la Chine. Ce qui a fait dire avec raison qu’on se pressait un peu trop d’annoncer la « fin de Carthage. »

Le troisième grand événement de l’histoire anglaise est le triomphe du protestantisme, où on a voulu voir un trait de race. En réalité, ce triomphe tint à bien des causes ; la politique y a joué un grand rôle. Si les Celtes d’Irlande ont repoussé la Réforme, les Celtes du pays de Galles ne l’ont-ils pas embrassée avec ardeur ? N’est-ce pas en Écosse que presbytériens et puritains ont abondé ? De même, si l’Allemagne s’est faite en grande partie protestante, ne voyons-nous pas le catholicisme se maintenir non seulement en Autriche, mais en Bavière, en Westphalie, dans les pays du Rhin, tout comme dans la Belgique ? Malgré cela, on doit admettre une affinité générale entre l’individualisme anglo-saxon et une religion qui repose avant tout sur la conscience individuelle.

Le sens religieux est un des traits de l’àme anglaise ; l’habitude de rentrer en soi par la réfiexion, la tournure d’esprit souvent morose et triste qui fait sentir le néant des choses humaines, la poésie tout intime et profonde qui ouvre un monde supérieur, enfin et surtout l’idée de la règle et de la loi, qui trouve son soutien dans la foi à un législateur des âmes, toutes ces raisons étaient favorables à l’essor du sentiment religieux. Mais ce sentiment ne s’est point traduit, en général, par la mysticité vague si fréquente en Allemagne. Il ne s’est pas non plus tourné en métaphysique panthéiste : l’absorption dans le grand Tout, dans