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l’Unité universelle, n’est pas le fait de l’Anglais individualiste. En outre, grâce à l’esprit pratique de la nation, la préoccupation religieuse a pris plutôt la forme morale que la forme métaphysique. Le sens du divin et le sens de l’utile, qui semblaient d’abord contradictoires, ne font plus qu’un. La religion est l’intérêt suprême, bonheur et paix spirituelle ; en même temps elle est la première des nécessités sociales, la plus respectable des traditions de la patrie. L’Anglais ne s’ingénie pas au même degré que l’Allemand pour trouver dans les dogmes religieux les symboles de vérités profondes ; mais il y voit la charte de la moralité privée et publique. Aussi toutes les associations religieuses de l’Angleterre aboutissent-elles à des résultats utiles : fondations d’écoles, qu’on s’efforce de rendre confessionnelles, institutions de bienfaisance, de propagande intellectuelle et morale, parfois même commerciale et coloniale. Tout se mêle en ces esprits tendus vers l’application pratique. L’incrédulité même n’est pas pour eux une affaire de pure vérité spéculative : en niant comme en affirmant, on poursuit un but, on veut être utile et réaliser une œuvre.

Les formes extrêmes de la religion protestante dans la Grande-Bretagne sont l’anglicanisme et le puritanisme. L’église anglicane, une des plus riches corporations du monde, est un protestantisme officiel, qui a conservé la hiérarchie romaine et la pompe du culte ; elle reste ainsi à moitié chemin entre l’esprit du catholicisme et celui de la Réforme. Quant au puritanisme, deux traits de la physionomie anglaise y sont visibles. On l’a justement défini l’excès de l’esprit individuel se manifestant dans l’éducation de la conscience, en d’autres termes, l’exaltation de l’individualisme dans la sphère morale. Mais il faut y joindre un certain formalisme rigide qui le distingue du fanatisme allemand et en fait quelque chose de britannique. Au moment même où on revendique « l’esprit » dans toute sa liberté individuelle, on reste encore esclave de la « lettre, » esclave aussi du groupe dont on fait partie. Un Anglais, a dit un Allemand, peut bien être alliée, mais à la condition de faire partie d’une église d’athées. Heine, dans une de ses boutades impertinentes, a dit que « le plus stupide Anglais peut parler avec sens de politique, » mais que, si on discute religion, « il est impossible d’extraire autre élusse que non-sens de l’Anglais le mieux instruit. » M. Pearson lui répond : ce n’est point que l’Anglais soit étranger au mouvement accompli