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contraire, partout en décroissance. C’est en Angleterre et aux États-Unis que le mouvement de descente pour la fécondité est le plus accusé : la France, qui par malheur a pris ici les devans sur les autres nations, se contente d’être stationnaire.

Les idées démocratiques, avec leurs avantages et avec leurs dangers, ont envahi l’Angleterre ; le suffrage embrasse la presque universalité du sexe masculin, et l’heure est prochaine où il s’étendra aux femmes ; déjà mêlées aux affaires de la paroisse et du comté, elles le seront bientôt à celles de l’État. La Chambre des communes, élue par six millions d’électeurs au scrutin secret, sous l’antique et pittoresque appareil des hustings, est en réalité toute-puissante, et les Lords ne lui résistent au début que pour lui céder à la fin. Déchue de ses privilèges séculaires, privée de la protection que lui assuraient les droits sur les céréales étrangères, la propriété foncière a été mise, depuis 1846, sur le même pied que la propriété mobilière ; elle paie comme elle des droits de succession progressifs dont le taux s’élève jusqu’à 18 pour 100 et entraîne des fraudes formidables. Les conseils de paroisse, de district, de comté, élus par un suffrage presque universel auquel les femmes mêmes sont admises, ont été investis du droit d’exproprier les terres pour les relouer en détail, d’acquérir d’autres terres à l’amiable pour les morceler et les revendre à crédit. Les propriétaires d’Irlande ont été obligés de laisser le tribunal fixer à sa guise le montant de leurs fermages ; ceux d’Écosse ont été contraints de faire des concessions aux crofters ; ceux du royaume entier ont été forcés de tenir compte au fermier des améliorations par lui réalisées.

M. Schulze-Gœvernitz, dans son ouvrage capital Zum socialen Frieden (Leipsig, 2 vol., 1890), a montré quelle était la situation de l’ouvrier anglais au début du siècle : les patrons le considéraient comme une machine humaine qui doit rendre le maximum avec le minimum de frais, réduisaient le salaire à ce qu’il fallait pour ne pas mourir de faim, imposaient souvent jusqu’à vingt heures de travail. Aux industriels anglais, préoccupés de produire à bas prix, Pitt adressait sa recommandation fameuse : « Prenez les enfans. » Ils n’y manquaient point. On faisait venir de loin aux ateliers des enfans de neuf ans « qu’on frappait pour les tenir éveillés la nuit ; » on recevait gratuitement des workhouses les petits pauvres pour les filatures ; on acceptait des paroisses une rétribution pour les débarrasser de leurs enfans indigens ; on s’engageait parfois à prendre un enfant idiot sur vingt enfans