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ne voudrait ou ne pourrait entendre au gouvernement de mes royaumes et pour que ceux-ci soient administrés en paix… j’ordonne que si celle-ci ne veut ou ne peut entendre au gouvernement, le Roi les gouverne et administre pour elle jusqu’à la majorité de mon petit-fils l’infant Don Carlos. » On remarquera ici la répétition voulue des mêmes expressions : cet euphémisme redoublé démontre la conviction d’Isabelle ; à ses yeux sa fille est incapable de régner, elle appelle directement Don Carlos à l’héritage, elle ne fait même pas mention de son gendre, elle confie solennellement la Castille à son mari. Sous forme hypothétique, elle vise la véritable situation. Elle a soin d’ailleurs, pour qu’il n’y ait aucun doute, de rappeler un peu plus loin les vœux des Cortès de 1500 et de 1503 qui avaient déjà réclamé l’administration de Ferdinand. Ajoutons que ce langage est une preuve irréfragable de la situation morale de Jeanne, puisque c’est sa mère elle-même, c’est-à-dire la personne la moins suspecte d’erreur et de malveillance, qui l’écarte résolument du trône. Isabelle expira le 26 novembre 1506, six semaines environ après avoir signé ce testament qu’elle avait prémédité en pleine connaissance de cause, mais qui devait inévitablement créer un irréconciliable antagonisme entre le beau-père et le gendre, également jaloux des droits dont ils considéraient être investis, celui-ci par le fait de son mariage, celui-là par la volonté de la Reine. C’est ainsi qu’une mesure si prudente en elle-même et si favorable au bien de l’Espagne devint l’origine d’un scandaleux conflit.


V

Ferdinand avait trop d’expérience pour croire que tout se passerait sans lutte ; il voulut donc, en tout cas, et sur-le-champ, prendre possession légale de l’autorité. Il fit proclamer Jeanne reine de Castille, et en même temps reconnaître ses pouvoirs d’administrateur. Dans la cérémonie officielle, il se borna à donner lecture de la clause du testament sans insister sur les motifs auxquels la testatrice faisait allusion : c’était en effet un discours inutile tant que nulle réclamation ne s’élevait contre la validité de l’acte. En outre, il eut soin, pour ménager les susceptibilités castillanes et prévenir les observations malséantes de son gendre, de renoncer spontanément au titre de roi de Castille qu’il portait depuis trente ans du chef de sa femme. Peu lui importait le