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protocole, puisqu’il gardait le gouvernement. Pleinement autorisé par l’absence de Philippe et de Jeanne à prendre les rênes de l’Etat, il assuma immédiatement la direction suprême avec sa fermeté accoutumée, veilla au bon ordre dans toutes les provinces, munit les places fortes, et attendit les événemens. On put croire d’ailleurs dans les premiers temps que les choses seraient ainsi aisément réglées : les communications de condoléance entre les deux Cours d’Espagne et des Pays-Bas furent insignifiantes ; aucune question politique ni intime n’y fut soulevée.

La position de Ferdinand était toutefois incertaine et ambiguë. Jeanne était trop indifférente et trop accoutumée à obéir respectueusement à son père pour qu’il eût de son côté rien à craindre : mais Philippe serait-il aussi résigné ? En supposant même qu’il admît que sa femme « ne voulait ou ne pouvait gouverner, » il était vraisemblable qu’il réclamerait l’administration en vertu des droits héréditaires de la communauté et du serment prêté par les Cortès. Que s’il discutait la maladie mentale de la princesse, faudrait-il la déclarer ouvertement et invoquer des faits jusqu’alors atténués avec tant de sollicitude ? Faudrait-il en venir à une guerre civile ? Le roi d’Aragon ne pouvait compter sur le concours des Grands de Castille : ceux-ci, qui l’avaient subi comme mari de leur reine, préféreraient probablement au vigoureux souverain qu’ils n’avaient jamais aimé un jeune prince léger, ignorant, facile à dominer, et qui achèterait cher au besoin leur adhésion et leur conditionnelle obéissance.

Le Roi Catholique s’entretenait de ces inquiétudes lorsqu’il reçut de l’archiduc une lettre qui l’éclaira sur la gravité des conjonctures. Philippe ouvrait les hostilités avec sa rudesse ordinaire : il enjoignait nettement à son beau-père de quitter la Castille et de se retirer en Aragon. En lisant cette missive qui déconcertait tous ses plans, passait sous silence le testament d’Isabelle, et dont la forme était si éloignée des commentaires et périphrases diplomatiques auxquels il pouvait s’attendre, Ferdinand fut très ému et irrité sans doute, mais il s’abstint d’en rien laisser paraître. Accoutumé à suivre la voie oblique des négociations un peu confuses, troublé peut-être par une attaque aussi violente, il ne voulut point résister de front. Il répondit à son gendre sur un ton conciliant et sans aller au fond des choses ; il se jeta dans une dissertation générale sur les travaux longs et assidus par lesquels il avait, de concert avec Isabelle, fondé la prospérité de l’Espagne