Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/580

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

grâce que par suite de sa grande et intime douleur, Elle n’a pas voulu définir l’empêchement en lui-même et ne l’a indiqué que par cette expression générale « ne pas pouvoir administrer. » L’état violent de Son Altesse s’étant maintenu et même aggravé depuis son départ d’Espagne, d’après un rapport que le Roi D. Philippe nous a envoyé et aussi d’après les dépêches de nos ambassadeurs en Flandres, il faut que vous appréciiez les détails et circonstances relatés dans ces pièces ; mais, eu égard à la gravité d’un fait qui touche à la personne royale, il est nécessaire qu’au préalable vous prêtiez le serment solennel de garder le secret.


Il fut ensuite donné lecture aux Cortès d’un mémoire transmis par Philippe l’année précédente à la suite des scènes de Bruxelles, et où se trouvaient exposées les perturbations morales qui ne laissaient pas à la Princesse l’usage de son libre arbitre et avaient obligé son mari de la soumettre à une surveillance spéciale. Ce document n’a malheureusement pas été retrouvé : il a été vraisemblablement détruit soit par ordre de Philippe lorsqu’il vint en Espagne, soit par les rois descendans de Jeanne comme un témoignage fâcheux pour la famille royale. Mais la communication qui en a été faite aux Cortès est indéniable, et le sens était à ce point péremptoire que les Cortès de Castille, peu suspectes de complaisance pour le roi d’Aragon, votèrent immédiatement et à l’unanimité une adresse qui exprimait leurs condoléances et approuvait formellement la clause testamentaire qui lui conférait l’administration du royaume. Cette décision fut notifiée, d’ordre de cette assemblée, à Philippe et à Jeanne par un message extraordinaire.


VI

Légalement, tout semblait terminé. Ferdinand était couvert par l’assentiment des députés de Castille : il avait corroboré devant eux ses assertions personnelles par un texte émané de son adversaire ; il plaçait son gendre dans l’alternative de se soumettre ou de s’opposer par la force ouverte aux représentais du pays. Philippe néanmoins n’entendit pas reculer : il avait conscience de la force que lui donnaient ses possessions territoriales, ses entours et le titre de Roi qu’on ne pouvait lui refuser ; il savait que son beau-père était haï des Grands et de plus contraint de détourner vers le royaume de Naples la majeure partie de ses ressources pécuniaires et militaires ; il s’entendait avec la France et avec l’Empereur son père ; il comptait sur l’astuce, la corruption et au besoin la violence pour lutter et pour vaincre. Ses