Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/581

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ministres flamands, avides et ambitieux, et qui considéraient d’avance la Castille comme une proie, l’encourageaient à la résistance. Aussi, affectant de dédaigner l’adresse des Cortès, il leur envoya l’ordre de ne rien décider en son absence ; il écrivit à Ferdinand des lettres insidieuses qui maintenaient son droit, fit des préparatifs d’hommes et d’argent, s’engagea dans des pourparlers diplomatiques tant avec Louis XII, Maximilien et le Pape qu’avec les seigneurs castillans ; et se disposa ostensiblement à se rendre dans la Péninsule.

La partie était ainsi engagée et chacun des adversaires jouait serré. Un incident assez singulier et qui vint à ce moment aigrir encore leurs relations, les montre l’un et l’autre fort peu soucieux de se contredire : on va les voir en effet, pour consolider leur cause, invoquer respectivement leur bon accord avec cette même princesse qu’ils avaient tous deux, par des documens publics, déclarée hors d’état de se conduire et de gouverner. Pour comprendre cette tactique inattendue, il faut se reporter aux idées du temps et se souvenir du prestige que, malgré tout, l’héritière légitime de la Castille gardait en ce pays loyal et fidèle. Ferdinand et Philippe avaient un égal intérêt à se prétendre soutenus par Jeanne et à produire des déclarations signées par elle en faveur de leurs droits opposés. La Princesse, sous l’empire de suggestions continues, et dans une complète inconscience de la portée de ses actes et de ses discours, a paru jouer ici un rôle double et n’a fait en réalité que donner une preuve de plus de sa faiblesse et de l’incohérence de son esprit et de sa volonté. Voici cet épisode qui n’est, il faut le dire, à l’honneur ni du beau-père, ni du mari.

Un affidé du roi d’Aragon, nommé Lopez Conchillos, autrefois secrétaire d’Isabelle, avait été envoyé par celui-ci en mission secrète à Bruxelles. Admis dans l’entourage de Jeanne, cet agent fort expert obtint beaucoup de crédit auprès d’elle, d’autant qu’il se présentait sous le patronage d’un père qu’elle vénérait. Il capta sa confiance, et à un tel degré qu’il parvint par ses intrigues à lui persuader d’écrire au Roi, à l’insu de l’archiduc, une lettre confidentielle. Dans ce document, suggéré à coup sûr et peut-être même rédigé par le mystérieux négociateur, elle exprimait d’une façon ferme et péremptoire son intention de maintenir Ferdinand dans l’administration viagère de la Castille. Un tel acte était l’arme la plus utile qui pût être remise au roi d’Aragon : il sanctionnait à la fois le testament d’Isabelle et la décision des Cortès en leur