donnant le concours de la souveraine. Malheureusement pour Conchillos, un Aragonais qu’il avait chargé de porter cette lettre au roi la communiqua à Philippe, soit par erreur, soit par trahison. On comprend quelle fut la fureur du prince en lisant une lettre aussi contraire à sa politique ; toutefois, d’après les récits du temps, il n’aurait point osé l’intercepter, soit par respect pour le haut rang du destinataire, soit dans la pensée, qu’il était préférable de faire à cette occasion une manifestation significative dans un sens opposé. En attendant, il fit jeter Conchillos dans un cachot d’où celui-ci ne sortit que plusieurs années plus tard et à demi perclus. Il interdit ensuite l’entrée du palais à tout Espagnol quel qu’il fût, et plaça des gardes à toutes les issues de l’appartement de sa femme. Elle n’était jusque-là que surveillée, elle devint dès lors à peu près captive. L’indignation de la Princesse à la suite de ces mesures éclata avec une violence extrême : il suffira de rappeler que deux conseillers intimes de Philippe, le prince de Chimay et M. de Frenoy, lui ayant rendu visite, elle leur adressa les paroles les plus outrageantes et s’emporta même jusqu’à frapper M. de Frenoy au visage. En même temps, son agitation ordinaire devint plus redoutable encore pour son entourage, de sorte que l’archiduc aggrava la sévérité de ses dispositions premières. Ainsi s’établissait ce cercle vicieux dont elle ne devait jamais sortir : on la renfermait à cause de ses égaremens, et son esprit s’égarait et s’exaspérait de plus en plus dans les tristesses de la solitude.
Ces actes de vengeance avaient donné satisfaction à la colère de l’archiduc contre sa femme et Conchillos, mais il ne perdit pas de vue la nécessité de rendre coup pour coup à son beau-père, et de prévenir l’effet de la missive de Jeanne par un document contradictoire. Fut-ce par séduction ou par force, on ne sait, mais il obtint d’elle qu’elle écrivît à M. de Vere, son ambassadeur en Espagne, une lettre conçue en sens inverse de la communication destinée au roi d’Aragon. Cette pièce, trouvée récemment dans les archives du duc d’Albuquerque, est évidemment l’œuvre de l’archiduc et de ses conseillers : jamais la princesse n’eût combiné des phrases aussi artificieuses et n’eût chargé un diplomate de parler à Ferdinand sur ce ton ironique et impérieux. Sa signature a été contrainte ou surprise ; on en jugera par la traduction in extenso :
Monsieur de Vere, jusqu’ici je ne vous ai pas écrit parce que, comme vous le savez, je suis mal disposée à écrire : mais, puisqu’en Espagne on