Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/601

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.




QU’EST-CE QUE LA CARICATURE ?


À PROPOS DE MM. FORAIN ET CARAN D’ACHE


________




On raconte qu’au XVIIe siècle un roi d’Espagne vit, de la fenêtre de son palais, un homme qui riait. Comme il n’apercevait pas ce qui, dans le triste état du royaume, pouvait donner lieu à rire pour un homme sensé, il dit : « Ou cet homme est fou, ou il lit le Don Quichotte. » — On dirait aujourd’hui : «… ou il regarde les dessins de MM. Forain et Caran d’Ache. » Car il est généralement entendu que la caricature est chose plaisante, comme on l’entend aussi du Don Quichotte, et si cela était vrai, les ouvrages des deux grands catagraphistes de l’heure présente seraient l’unique objet de gaieté fourni par nos tristesses nationales. Leurs bonshommes nous consoleraient des hommes, et leurs « légendes » de l’Histoire. Telle est la première idée qu’on se fait ordinairement des caricaturistes : ce sont des amuseurs.

La seconde est celle-ci : ce sont des philosophes. On a fini par trouver les noms des deux amis observateurs et malcontens qui se tiennent debout dans un coin des Romains de la décadence. Ce sont MM. Forain et Caran d’Ache. L’atrium où Couture fit papillonner ses joyeux mondains et mondaines est devenu le salon « modern style » où les deux caricaturistes, côte à côte, dans l’embrasure d’une porte, observent comment finit un monde. En vérité, l’orgie est plus discrète. Il y a moins de superbe insolence dans les gestes et l’on ne voit point les jeunes gens grimper aux statues des aïeux pour leur offrir, en manière de dérision, le vin spumante qu’ont vomi les cratères. L’orgie de cette sorte, ce sont les aïeux qui en eussent été capables, non pas les descendans.