Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/604

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

modèle un autre renard, avec le même bâton et le même paquet, dans une même procession d’animaux, qu’on trouve sur un papyrus du temps des Ptolémées, 250 ans avant J.-C.

Depuis l’invention de l’image imprimée, les mêmes procédés servent indéfiniment. Quand M. Léandre dessine l’ogre Mac Kinley, cuirassé de tourelles de fer, et considérant avec curiosité, du bout de sa lorgnette, un petit soldat espagnol en se riant de ses coups inoffensifs, il imite Gillray et son géant Georges III examinant, avec sa lorgnette, le lilliputien Bonaparte qu’il a pris dans sa main. — Quand M. Caran d’Ache imagine le chef de l’État sous l’aspect d’un coq se promenant, avec le Tsar, dans la galerie des Bustes, il imite le Kladderadatsch qui donnait cette apparence à Napoléon III en 1860, ou Romain de Hoogh qui, dès 1706, figurait Louis XIV comme un coq auquel la reine Anne rogne les ailes. Ainsi donc, à ne considérer que les formules les plus générales, celles dont on peut donner les recettes, il n’y aurait aucune évolution à noter dans l’histoire de cet art singulier. Elle est pourtant capitale et très perceptible, sinon chez tous les médiocres, du moins chez les maîtres de la Caricature, c’est-à-dire chez ceux qui donnèrent à cet art, dans tous les temps, sa plus haute expression.

Dans son évolution, la Caricature a eu trois grandes époques, et elle entre dans une quatrième qui n’est qu’un retour à la première. Elle a d’abord été symboliste. Elle a ensuite et pendant le plus grand nombre de siècles été grotesque. Elle est devenue de nos jours caractériste. Elle tend enfin à redevenir symboliste, à peu près, dans le même sens qu’à ses origines. Dans son trait, elle a eu également trois périodes : la période linéaire, la période plastique et la période clair-obscuriste. Elle a recommencé depuis peu à être simplement linéaire, comme à ses débuts.

La caricature a été symboliste avec les Égyptiens. Quand on se promène dans un musée d’égyptologie, on voit une femme à tête de chatte : c’est Isis ; un homme à tête d’épervier : c’est Horus ; un autre à tête d’une : c’est Set ; une femme à tête de lionne : c’est Sekhet, la gardienne ; un poussah ventripotent : c’est le dieu Bès, tous gravement assis, les mains rivées aux genoux, tenant la clef de l’immortalité, ou debout, levant un bâton. Ces personnages très dignes n’en ont pas moins des têtes de bêtes sur les épaules. Ce sont des caricatures gigantesques, immortelles et sacrées. Dira-t-on peut-être qu’on ne saurait leur donner