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du ridicule ne précipitât nos célibataires dans les liens de l’Hyménée, afin d’être autorisés à revêtir, de nouveau, l’habit à élytres noires qui fait notre orgueil. Son invention n’était qu’un retour à la caricature déformante et pénale.

Déformante elle reste à la Renaissance, mais elle n’a plus d’intention pénale. Elle ne châtie plus rien que la laideur. Toutes les époques de Beau plastique et non psychologique sont des époques de caricature plastique et non psychologique. Toutes les fois qu’on a prétendu au Beau idéal, on a imaginé, en contraste, un laid idéal. À la vérité, la Renaissance italienne connut peu la caricature. Si Léonard de Vinci dessina les fameuses têtes monstrueuses conservées à Windsor, c’est, comme le savant historien de la Renaissance, M. Eugène Müntz, l’a très bien vu, à titre de curiosités. C’est comme phrénologue et comme physiognomoniste, en appuyant très lourdement sur les signes de maladie ou de caducité, sur les mentons qui rejoignent le nez en casse-noix ou sur les rides qui se réunissent au coin de la bouche comme rayons de roue au moyeu. Cette insistance brutale montre ce que les Maîtres pensaient de la caricature. Ils la considéraient comme une simple notation infamante de la laideur. Et la laideur était, pour eux, la grande ennemie. Dès que la figure observée se trouvait au-delà de cette limite précise où toute idéalisation échoue, ils ne daignaient point se rabattre sur l’indulgente ironie que professent nos artistes en face de la laideur. Ils « chargeaient, » lourdement, violemment, sans quartier, — caricare, — disaient-ils. Dans tous les temps, les idéalistes ont fait de même. Qu’on regarde les caricatures de Prud’hon, de Delacroix ou de M. Puvis de Chavannes. Ces grands artistes descendus dans le domaine comique sont lourds, gauches, comme les oiseaux grands voiliers quand ils se posent à terre. C’est le comique de Wagner. C’est l’ironie de Victor Hugo. On y sent la fatigue d’être sublime bien plus que la joie d’être plaisant. Et toute fatigue, chez l’artiste, est fatigante pour le regardant. D’autant que, si un grand passionné, comme Delacroix, caricature quelque chose, c’est la musculature d’un bonhomme, jamais sa passion. Si un idéaliste, comme Léonard, caricature quelque chose, c’est la bête humaine, jamais l’esprit. Un idéaliste peut s’abaisser à ridiculiser le corps : jamais il ne ridiculise l’âme. Et c’est, quand il caricature, le secret de sa pesanteur.

Dès la fin de la Renaissance, le grotesque diminue dans les