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quotidien, dont le papier est médiocre et le tirage rapide, elle se fait plus rudimentaire. Nous revenons peu à peu à la silhouette toute nue des cratères antiques ou des papyrus égyptiens. Regardons plutôt les dessins de MM. Forain et Caran d’Ache.


II

M. Forain a quelque chose du détective et quelque chose du chirurgien. Pour trouver dans l’amas des chairs et des vêtemens le trait-armature qui détermine une attitude, il lui faut avoir des rayons Rœntgen dans les yeux. Pour fixer ce trait, du premier coup, à l’encre de Chine, sur du papier blanc, sans le confort d’une esquisse ni l’espoir d’une retouche, il lui faut une preste dextérité. Tout compte et pas une goutte d’encre ne doit quitter le pinceau hors de propos. Aussi, avant de tracer sa ligne, l’artiste fait-il aller et venir son pinceau, au-dessus du papier, sans le toucher, comme s’il voulait y déposer seulement des passes magnétiques. Puis le pinceau se pose : il touche, tantôt de sa panse écrasée, — et le trait se rende, tantôt de son bout pointu et un fil se déroule. Puis il se relève. Ce qu’il a laissé là, c’est le dos du héros : la ligne de l’épaule, la plus forte, la plus liée, la plus vivante du dessin de M. Forain. Cette ligne est la seule, d’ordinaire, qui soit courbe, onduleuse et suivie. Après cela, ce ne sont plus que barres droites qui se croisent, se suivent à bâtons rompus, en lignes brisées, se cassent, se brouillent comme jonchets. Les cercles mêmes sont exprimés par des séries de traits droits — ce qui est très visible quand M. Forain entreprend de dessiner un carton à chapeau. La figure même est taillée par éclats secs et en angles comme silex. La bouche est sabrée d’un coup, quelquefois avec un retour en boucle ; l’oreille tient toute dans l’ourlet supérieur. Les mains sont suggérées par des quadrilatères. Un coup de banderole, — et voici le revers de l’habit qui descend et le bord de la redingote qui flotte. Une échelle de petites virgules le long du bord de cette redingote et du pantalon — et ce sont les ombres. Quant au décor, une ligne fuyante de plinthe, un angle de table, un semis de trois fleurs de tapisserie, un bout de balcon feront l’affaire. Il s’agit maintenant d’ombrer. Les passes magnétiques recommencent. Puis on voit tomber, çà et là, la pluie oblique des hachures. Les figures secondaires sont fouettées d’ombres. On songe aux vers chinois :