Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/624

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour en faire une idée générale. Supprimer ce qui est à droite ou à gauche de la ligne, c’est supprimer des parts de vérité ; comme dans une synthèse, supprimer des détails. Mais si aucun point n’est exact, l’ensemble est vrai, et, si la ligne manque la vérité du détail, il faut se souvenir que seule une ligne peut donner l’idée du mouvement, c’est-à-dire l’idée de la vie. Or la Nature est vivante, et rien ne ressemble, en définitive, autant à la vie que la vie même.

Le point, c’est l’analyse. La ligne, c’est la synthèse. Aussi voyons-nous triompher en même temps l’analyse dans la philosophie et le « pointillisme » dans la peinture. Il était bon de restituer au trait son rôle, — rôle très grand et très complexe. Car le trait synthétique a une double saveur : la saveur de la révélation, en ce qu’il montre mieux quelque chose qu’on n’apercevait pas ; et la saveur de l’énigme, parce qu’il supprime une foule de choses qu’il faut deviner. Ce qu’il ne montre pas, il le suggère. Parce qu’il fait disparaître l’inutile, il fait paraître mieux le principal. En supprimant, il exprime. Et parce qu’il fait paraître le principal, il permet de conjecturer le reste. En résumant, il présume. Si nous considérons avec attention les meilleurs dessins de MM. Forain et Caran d’Ache, nous trouverons ce double but de la synthèse atteint au suprême degré.


III

Au point où nous sommes arrivés, qu’est-ce donc que la caricature, et quel rôle joue-t-elle dans la vie contemporaine ? Est-il vrai que ce soit l’art d’exciter le rire et de renverser par ce moyen les puissances ridiculisées ?

Pour cela il faudrait d’abord que la caricature fît rire. Or les meilleures qu’on connaisse n’ont eu ni ce but, ni ce résultat. Qui pourrait rire devant l’Ordre règne à Varsovie, chez Grandville, ou, chez Daumier, devant les cadavres de la Rue Transnonain ? Qu’ont de risible la figure ou le mot de la Lorette vieillie de Gavarni, au passant qui lui fait l’aumône : « Dieu garde vos fils de mes filles ! » — ou la réflexion du Parisien de Cham à son petit garçon, pendant le bombardement du siège : « Ce sont les dernières fusées du 15 août ? » Si deux enfans de mineurs, durant la grève de Carmaux, s’arrêtent devant la vitrine d’un boulanger, pâles, hâves, mais extasiés à la vue de deux pains, et si M. Forain écrit,