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Page:Revue des Deux Mondes - 1898 - tome 149.djvu/625

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au-dessous : « Boutique de curiosités à Carmaux, » est-ce pour vous faire rire ? Et si le directeur d’hôpital qui vient de recevoir la visite de son ministre, et n’a pu être décoré, se précipite, éclatant de rage en son habit noir, poings fermés, vers un vieillard agonisant et lui dit : « Stupides moribonds ! avec vos chapelets et vos scapulaires, vous me faites rater ma croix !… » y a-t-il là de quoi rire plus qu’on ne riait, à Venise, devant la tête de Marino Faliero décapité ?

Est-il rien de plus tragique, dans l’art anglais, que la célèbre caricature de John Leech, General Fevrier turned traitor, donnée par le Punch, le 10 février 4855, à la nouvelle de la mort du tsar Nicolas ? On se rappelle l’atroce ironie de ce bois digne d’Holbein. C’était pendant la guerre de Crimée. Les troupes russes ayant le dessous, Nicolas avait dit : « Patience ! les deux grands généraux de la Russie ne sont pas encore arrivés. — Et quels sont ces deux généraux, Sire ? — Ils se nomment Janvier et Février. » La guerre traîna en longueur. Le mois de février vint enfin, mais comme il apparaissait, le Tsar mourut. Alors dans le Punch on vit ceci : un squelette casqué, cuirassé, botté comme un général russe, entre avec une rafale de neige dans la chambre d’un malade, écarte le rideau du lit, pose les os de son métacarpe sur la poitrine de l’Empereur étendu, et au-dessous ces mots : « Le général Février devenu traître. » L’impression fut profonde on Angleterre, si profonde qu’on la put comparer à celle produite par la Chanson de la chemise. Que peut-on trouver à rire là-dedans ?

Si l’on passe à la caricature individuelle, rien de plus suggestif, mais rien de plus triste que de tirer du magasin des accessoires, les uns après les autres, tous les masques donnés à un grand homme d’État durant sa longue carrière, — comme M. M. H. Spielmann l’a fait pour Gladstone et Disraeli, dans son History of Punch, et comme M. Grand-Carteret l’a fait pour Bismarck et pour Wagner, dans les ouvrages qu’il leur a consacrés. En suivant l’ordre chronologique des caricatures, on voit le masque devenir plus grimaçant, plus ridé, plus desséché, plus tors. C’est que l’âge vient tracer, à côté du crayon, son trait sur le visage d’où aucune censure ne l’effacera. On voit ainsi Bismarck vieillir à mesure qu’il se transforme. C’est d’abord un Egisthe, un « chand d’habits, » un chemineau, un Gessler, un vétérinaire, un Cosaque, un chat, une ballerine, un Amour avec Psyché, un garçon :