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a vernie comme une glace de Venise. Ces politiciens américains le savent aussi, qui, pour faire comprendre les bienfaits du bimétallisme traduisent par des dessins comiques — le monométallisme est un borgne, le bimétallisme a deux yeux — des idées trop abstraites pour être facilement perçues des foules. Il n’est peut-être pas, en Amérique, une seule thèse économique, financière ou morale, qui ne soit ainsi graphiquement mise sous les yeux de la foule : l’administration de M. Cleveland comme les entreprises de Tammany Hall, la question de Cuba comme celle des îles Hawaii, les problèmes les plus compliqués trouvent la forme qui leur permet de tomber sous le sens de la vue. C’est la caricature didactique ou symbolique, telle que nous l’avons observée, au début de cette étude, chez les Égyptiens. Le Tsar, chez M. Caran d’Ache, a la tête d’oiseau du Dieu Horus. L’Empire de Ménélik, dans le Grelot, est figuré par le même lion que dans le papyrus du musée de Turin. Pour le peuple, la caricature redevient ce qu’elle fut à ses origines : un enseignement.

À des degrés divers et en s’appliquant à des sujets différens, c’est le rôle qu’elle remplit partout parce que c’est celui qu’elle peut le mieux remplir. — La caricature n’est donc pas nécessairement un moyen de faire rire ; c’est une médiocre arme politique ; c’est un assez pauvre agent de moralisation. Mais c’est un merveilleux procédé pour concréter une idée abstraite et ainsi la présenter devant une foule rebelle aux abstractions. Elle précise et incarne des sentimens assez flottans dans les esprits. Elle donne l’aspect d’un homme à une théorie, d’une femme à une nation. Elle met des favoris à une Loi, des moustaches à une Responsabilité, des bigoudis à une Constitution. Ainsi, elle fait percevoir aux yeux l’image de ce dont l’esprit avait peine à concevoir l’idée.

Puis elle modifie cette image et à mesure que l’image se modifie, l’idée évolue après elle. C’est ainsi que MM. Forain et Caran d’Ache, pour les prendre une dernière fois comme exemples, nous ont fourni de la République une image toujours plus jeune à mesure que le régime vieillissait. Et cette image répondait bien, en effet, à cette notion confuse dans les esprits, que la République devenait plus aimable. En lui attribuant une figure, ils clarifiaient la notion. Ce n’était plus là cette mégère qu’on voyait jadis dans le Triboulet ou dans le Pilori. Non. Jusqu’à l’âge de vingt ans, elle avait vieilli. À partir de cet âge, elle semblait renaître