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ou plutôt elle se confondait avec la France. Chaque année avait blondi ses cheveux gris et aminci sa taille. Le crayon aussi s’était « rallié. » Il semblait que ce ne fût plus là l’ancienne Marianne, mais quelque chose comme sa fille, avec une bouche un peu vulgaire encore, mais tant de grâce et de jeunesse qu’on oubliait les vulgarités.

« Elle est charmante ! « disent les rois et les grands-ducs de M. Caran d’Ache, en sortant du bal et en reprenant leurs couronnes au vestiaire. On songe au mot de Henri Heine : « Ah ! souhaite que je t’aime toujours ; mon amour fait ta beauté ! » Car le caricaturiste a tout oublié d’elle. De son ralliement, elle s’est refait une virginité. Ce n’est pas elle qui a crocheté les monastères, exilé les Princes, piétiné les cadavres des ouvrières catholiques à Châteauvillain ou troué les poitrines prolétaires à Fourmies. Elle n’est jamais allée à Panama. Elle ignore qu’il y ait des chemins de fer dans le Sud. Mais c’est elle qui a reçu le Tsar, qui a pleuré sur les victimes du bazar de la Charité, qui a inauguré l’Exposition napoléonienne et le Musée Condé. Elle se promène dans un landau attelé à la Daumont. Son bonnet phrygien n’est plus un emblème : c’est une parure. Elle a fait monter en manche d’ombrelle la hache et les faisceaux des licteurs. Elle regarde du côté du régiment qui passe… Ce n’est plus la virago de Septembre. C’est une reine de Mai. Si M. Forain dessine quelque chose de laid autour d’elle, ce n’est pas elle. Ce sont les hommes, ce ne sont pas les institutions. Le distinguo médité sous les plafonds peints par Raphaël se lit là clairement sur les feuilles éphémères du faiseur de silhouettes. Et la caricature est, chez lui, ce qu’elle est chez tous les maîtres de cet art : un éclaircissement.


Robert de la Sizeranne.