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avoir eu, lors du départ, je l’avoue, quelque inquiétude motivée par la mauvaise mine des animaux qui la composaient.

A peine ai-je eu le temps d’être signalé, que je vois venir vers moi le volostnoï indigène, accompagné de deux ou trois assesseurs : il nous conduit à une yourte qui a été préparée pour moi. Il s’informe de mes désirs en fait de vivres. Après lui avoir demandé un mouton, je laisse mon convoi au campement, et je me dirige vers le fort pour rendre visite à l’officier qui le commande.

Le fort de Gouldcha est assez important comme construction militaire. Son emplacement est parfaitement choisi : c’est un poste de premier ordre, commandé par plusieurs officiers, flanqué de tours, et entouré d’un retranchement complet. Il s’y trouve même de l’artillerie, ce qui n’existe pas dans la plupart des postes algériens similaires.

Des deux capitaines qui commandent le poste, l’un est allé pour quelques jours chasser l’ours dans une des vallées latérales qui aboutissent à la Gouldcha. Nous faisons passer notre carte au second officier, d’origine suédoise, le capitaine Hedingon.

Le chef indigène s’occupe de mon campement. Ce chef, que les Russes ont affublé du titre officiel et civilisé de volostnoï (chef de volost ou fraction de district), titre dont la physionomie européenne s’accorde aussi mal que possible avec la sienne, était, dès avant la conquête, un personnage de haut rang. C’est l’un des quatre fils de la célèbre Kourban-Djan, — historiquement connue sous le nom de datchka ou reine des Kirghiz, — qui résista pendant plusieurs années aux armes russes, et dont l’autorité était reconnue à peu près dans toute l’étendue du pays où habitent les Karakirghiz, c’est-à-dire dans les marches pamiriennes du versant nord et dans une partie du Tian-Chan. Elle était la femme du grand chef des Kiptchaks montagnards, Alim-Beg, qui tint longtemps le Khanat de Kokan en tutelle, avant la conquête russe, et qui fut tué on 1865, en livrant bataille à Tcherniaieff devant Tachkent[1]. Sa veuve ne se rendit qu’en 1876 à Skobeleff, qui la fit prisonnière. Ses quatre fils firent leur soumission en mêmetemps qu’elle : les Russes les traitèrent honorablement et leur partagèrent le commandement des tribus nomades de la région. Tous sont des personnages énormes et d’aspect primitif,

  1. Voyez la Revue du 1er janvier 1895, le Turkestan russe, p. 164.