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nez ; les chevaux eux-mêmes perdent du sang par les naseaux ; le sang gèle, et ils reniflent des rubis. Ils en ont aussi sur le corps, taché de caillots rouges là où de petites veines éclatent. »

On voit par ce souvenir de nos prédécesseurs que ce n’est pas précisément une partie de plaisir que nous allons tenter.

On nous annonce à Gouldcha que les communications avec Irkechtam par le Taldyk sont complètement interceptées, à cause de la masse de neige qui encombre la vallée d’Alaï. Le Terek-Davan, qui est plus haut et bien plus escarpé, reste libre de neige, à cause de son orientation et du régime des sommets voisins : nous y pouvons passer. Mais le temps y est, paraît-il, détestable.

29 octobre. — Nous partons de Gouldcha après avoir accepté le déjeuner matinal que nous offrent très gracieusement le capitaine Hedingen et sa famille, et nous remontons la vallée de la rivière. Elle est partout resserrée et le sentier qui la suit serpente aux flancs d’escarpemens souvent à pic. Bien que ce sentier n’ait que deux pieds de large, en certains endroits le rocher est trop vertical pour en permettre même l’établissement : la corniche absente est alors remplacée par une sorte de balcon suspendu, fait de troncs de genévriers ou de branches de peupliers. Ces échafaudages à claire-voie, composés de pièces informes qui ne sont reliées entre elles que par quelques liens d’écorces et de cuir ou par des chevilles mal assemblées, tremblent sous le pied des gens et des animaux, à des hauteurs vertigineuses. Il ne faudrait pas cependant que ce nom de balcon, employé par les voyageurs russes, évoquât chez le lecteur l’idée d’un parapet quelconque : il n’y on a pas la moindre trace. On retrouve ce genre de construction sur les sentiers de tout le Pamir. Tout récemment, un voyageur européen ayant mécontenté les Kirghiz par ses exigences ou les ayant effrayés par les intentions qu’on lui supposait, ceux-ci détruisirent volontairement un certain nombre de balcons autour de lui et il se trouva bloqué sur des corniches sans issue où il fallut qu’une expédition spéciale vînt le chercher.

Nous marchons pendant dix kilomètres sur la rive droite, puis un éperon rocheux infranchissable nous oblige à traverser par deux fois la rivière et à revenir sur la rive droite, pendant un demi-kilomètre. Des ponts solides ont d’ailleurs été établis par les Russes. Dix kilomètres encore et à deux heures et demie de l’après-midi, nous atteignons une petite plaine. Ce point se