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elle-même ne représente guère que des influences anciennes accumulées ; — jusqu’au génie qui n’est, sans doute, que la brusque explosion de qualités patiemment amassées dans la race. Pour changer l’homme, il n’y a qu’à changer le milieu social. Aussi, je le maintiens, en refaisant la société, nous refaisons l’homme. Nous modifierons ses instincts ; nous corrigerons ses hérédités ; nous redresserons ses penchans. Deux ou trois générations, quatre ou cinq, au plus, y suffiront.

L’ANARCHISTE. — Nous y voilà ; vous recréez l’homme à neuf ; vous changez de place ses organes ; vous mettez le cœur à droite. Vous faites, avec l’homme vivant, ce que les alchimistes prétendaient faire avec les métaux ; vous transmuez le cuivre ou le plomb en or. Grand bien vous fasse ! Mais comment opérerez-vous cette transmutation ? Par quelle mystérieuse recette transformerez-vous, à la fois, l’un par l’autre, l’homme et la société ?

LE COLLECTIVISTE. — Eh bien ! par l’Etat, par la loi, par toute l’organisation gouvernementale et sociale. Je ne vois pas, en vérité, ce qu’il y a là de ridicule ou de chimérique.

L’ANARCHISTE. — C’est bien cela, vous emploierez les vieux procédés et les vieux moules, l’Etat, l’autorité, la contrainte, la loi. Pour refaire l’homme et la société à votre image, vous ferez comme les gouvernans et les despotes de tous les âges, vous jouerez de la machine à légiférer. Vous avez beau vous donner pour de grands novateurs, vous n’êtes que des plagiaires, vous empruntez, simplement, la méthode des anciens réformateurs politiques ou religieux. Vous en êtes, toujours, à l’incorrigible erreur des législateurs antiques et des révolutionnaires modernes ; vous croyez à l’omnipotence de l’Etat, à l’efficacité créatrice de la législation. Vos petits Lycurgue collectivistes se flattent de couler l’homme et la société à neuf, dans le vieux moule de la loi, leur donnant telle forme qu’ils voudront, comme un pâtissier façonne un gâteau de Savoie. Erreur ! la nature humaine n’est ni une pâte molle qui se laisse pétrir à volonté, ni un métal inerte qui se laisse fondre au gré de l’artiste. La nature humaine fera éclater tous vos moules législatifs. Vous aurez beau déclarer vos lois intangibles et proclamer votre collectivisme éternel, vos lois auront le sort des législations antiques, votre société collectiviste périra, comme toute œuvre artificielle. Eussiez-vous, un jour, dans vos mains, la France et le monde, vous échouerez contre la révolte des instincts de l’humanité ; vous serez vaincus par la