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En réalité, un seul homme était possible : le roi d’Aragon. Tout le désignait : le prestige des trente ans de son glorieux règne, son titre de père de la reine et de grand-père de l’héritier présomptif, le nombre de ses partisans, et aussi sa haute expérience ; lui seul se trouvait en mesure de rétablir l’ordre et d’assurer l’unité espagnole. Mais les solutions les plus simples rencontrent souvent des obstacles imprévus. D’une part, Ferdinand, confiant dans la force des choses, se réservait pour l’instant où nul ne contesterait la nécessité de sa présence ; de l’autre, les Grands, incapables de rien construire, mais en état de tout entraver, et qui de plus, s’étant presque tous prononcés un an auparavant contre lui, redoutaient son ressentiment, ne voulaient point remettre le royaume entre ses mains sans avoir pris leurs sûretés et stipulé pour eux-mêmes de solides avantages.

Dans cette situation, à laquelle il fallait immédiatement pourvoir pour éviter la guerre civile, les hommes investis des principales charges de la Couronne eurent recours à l’établissement d’une administration provisoire dont les membres, choisis parmi eux, pussent expédier les affaires urgentes sans engager l’avenir. L’archevêque de Tolède, Ximenès Cisneros, qui avait su se rallier à l’archiduc tout en demeurant en bonnes relations avec le Roi Catholique, et qui avait donné tant de preuves d’habileté et de sagesse, était le chef indiqué pour ce Conseil suprême. On dut lui adjoindre, en raison de leurs dignités militaires, le connétable et l’amirante de Castille, bien qu’ils fussent l’un et l’autre suspects de tendances favorables au roi d’Aragon : mais il eût été plus dangereux de les écarter que de les admettre. En revanche, et pour contre-balancer ces diverses influences, les Grands firent attribuer ; les autres sièges aux ducs de Najera et de l’Infantado qui s’étaient déclarés les premiers en faveur de l’archiduc ; à André du Bourg, ambassadeur de Maximilien ; et à M. de Vere, le plus intime confident de Philippe le Beau. Ils crurent ainsi avoir réalisé une combinaison d’équilibre très ingénieuse : mais on ne constitue pas un gouvernement fort avec des arrangemens subtils ; l’unité de direction, plus que jamais nécessaire en des conjonctures aussi périlleuses, manquait absolument à ce cabinet formé à l’improviste d’élémens disparates, de plusieurs Espagnols divisés et de deux étrangers impopulaires. Un tel ministère était fatalement condamné à n’être qu’un interrègne obscur et tumultueux. En outre, il n’avait point de base : l’institution monarchique ne s’y