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étouffé les rébellions oligarchiques, concilié son autorité avec les privilèges des villes, atténué les rivalités des États condensés sous sa main vigoureuse. C’était le prix de quarante ans d’efforts. Ses peuples l’ont pleuré, et les historiens espagnols, indulgens pour sa dissimulation, ses manques de foi, ses défiances, ne parlent de lui qu’avec une admiration respectueuse. C’est qu’il a été avant tout un souverain national : il n’avait pas de sang étranger dans les veines, il était exclusivement dévoué à son pays.

Les plus brillantes destinées ont cependant leur ombre, les plus vigoureuses combinaisons rencontrent des obstacles qui les déconcertent. La mort prématurée de l’infant don Juan, héritier de ses couronnes et comme lui uniquement Espagnol, avait été pour lui la plus douloureuse épreuve : la folie de Jeanne, dont il avait jusqu’alors, en gardant le pouvoir, neutralisé les conséquences politiques, devenait après lui un suprême péril pour la monarchie. Non pas que l’unité fût compromise, mais l’Espagne se trouvait livrée à un prince qui ne la connaissait pas, né et élevé en Flandre, et préoccupé d’intérêts cosmopolites. Un instant, le Roi Catholique rêva d’écarter de la succession ce jeune don Carlos, chef de la maison d’Autriche, et qui devait en effet plus tard, devenu empereur d’Allemagne, entraîner la Péninsule dans ses entreprises européennes. Dans la pensée de Ferdinand, son second petit-fils, qui avait passé sa jeunesse en Espagne, eût été beaucoup plus capable de sauvegarder l’œuvre nationale accomplie par le règne qui allait finir. Mais il ne s’arrêta pas longtemps à un projet aussi contraire à l’ordre légitime des choses. Fidèle à la tradition monarchique, il craignit de provoquer une guerre civile qui eût compromis la cohésion des anciens royaumes : quels que fussent ses répugnances et ses regrets, il consacra par son testament les droits du fils aîné de Philippe et de Jeanne : il légua à don Carlos l’administration de Castille telle qu’il l’avait reçue, tous les États qui lui appartenaient en propre, par hérédité ou conquête, tant en Espagne qu’en Italie. Il s’éteignit après avoir ainsi disposé de son magnifique héritage et ordonné que son corps fût enseveli auprès d’Isabelle, la compagne de sa vie et de sa gloire.

La transmission du pouvoir eut lieu sans trouble. Le cardinal Ximénès fut chargé du gouvernement jusqu’à l’arrivée du nouveau prince. La recluse de Tordesillas ne fut mêlée en rien au règlement de la succession. On ne saurait même dire, tant les