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coiffée d’un bonnet de toile blanche, étrangère aux jeux et aux plaisirs de son âge, elle n’avait d’autre distraction que de regarder par la fenêtre, dans les champs, les enfans des alentours. Elle subissait avec une patience inerte la destinée qui l’avait fait naître en des jours de deuil et ne l’avait placée sur les marches du trône que pour la renfermer bientôt entre les murs d’un donjon, où s’écoulait son enfance dans la solitude et l’ennui. D. Carlos et Léonor, accoutumés à vivre au milieu d’une cour somptueuse, furent profondément touchés du sort réservé à leur sœur. Aussitôt, avec la vivacité et l’imprudence de la jeunesse, ils formèrent le projet de la délivrer, de la faire venir à Valladolid, et de lui donner la situation due à sa naissance. Léonor avait dix-neuf ans, le Roi son frère, dix-sept ; ils s’éprirent avec une ardeur juvénile de cette pensée comme d’un divertissement inattendu. Leur intention était bonne, sans doute, mais ils agirent à l’étourdie ; sans réfléchir mûrement à la douleur de leur mère dont Catherine était l’unique consolation, sans s’occuper du moins de la préparer d’abord avec ménagement à une courte absence de sa fille et de l’accoutumer peu à peu à des séparations prolongées, ils machinèrent, à son insu, tout un plan mystérieux, une brusque péripétie, un véritable enlèvement.

Il était impossible de faire sortir ostensiblement Catherine de Tordesillas. Jeanne n’eût cédé qu’à la violence : une telle scène eût été odieuse : si peu accessible que fût don Carlos à des considérations de sentiment, il recula devant une pareille extrémité. On eut donc recours à la ruse : une évasion nocturne fut résolue. La chambre de l’infante n’ayant d’autre issue que la chambre de la reine dont le sommeil était fort léger et qui souvent même ne dormait pas de la nuit, il fallut imaginer une combinaison. La volonté royale rencontre toujours à point des agens subtils pour la satisfaire : un vieux serviteur de Jeanne, nommé Plomont, qui allait et venait à toute heure dans l’appartement sans qu’on y prît garde, fut persuadé ou gagné ; il trouva le moyen cherché et se chargea de tout. Le mur de la chambre de Catherine était latéral à une galerie : Plomont parvint à percer dans ce mur caché par une tapisserie une ouverture assez large pour le passage. D’autre part, le mot fut donné au gouverneur et aux gardes du château, et le Roi, qui, dans l’intervalle, était retourné avec Léonor à Valladolid, envoya, dès qu’il fut avisé que tout était prêt, un gentilhomme avec une escorte stationner devant la porte extérieure.