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entendit alors paisiblement la messe et reçut l’absolution. Mais le mal était désormais trop profond pour qu’une amélioration fût durable. De nouvelles scènes de fureur se produisirent quelques jours après. François Borgia écrivait à Philippe : « Ces imaginations sont la suite naturelle de la maladie dont Son Altesse souffre depuis tant d’années : seul le Seigneur peut y porter remède. » Obligé, pour remplir d’autres devoirs, de quitter Tordesillas, il partit fort découragé, confiant la reine à un religieux expérimenté, le frère Jean de la Croix ; mais la folie était arrivée à son dernier période. Jeanne revenait sans cesse avec emportement sur les mêmes récits, réclamait les plus terribles châtimens contre ses suivantes, croyait voir des animaux sauvages errer dans sa chambre, se répandait en dissertations confuses : elle était en proie au délire de la persécution. Le frère de la Croix déclara ne pouvoir plus s’acquitter de sa mission et s’en retourna à son couvent (mai 1554).

De graves symptômes d’affaiblissement physique se développèrent dès lors, et il fut bientôt évident que la fin était prochaine. Ce tempérament extraordinaire, qui avait résisté à tant d’épreuves, subissait les atteintes de l’âge. Déjà, en 1553, — Jeanne avait alors soixante-quatorze ans, — ses indispositions étaient devenues plus fréquentes et plus prolongées : l’année d’après, une enflure des jambes l’avait réduite pendant plusieurs mois à l’immobilité : des bains avaient atténué le mal sans le guérir : il reparut avec plus d’intensité en février 1555, accompagné cette fois de plaies de mauvaise nature : la reine perdit alors complètement l’appétit et le sommeil, et ses douleurs prirent un caractère aigu. En mars, les plaies devinrent gangreneuses : la malade ne voulant être ni déplacée, ni changée de lit et de linge, il était presque impossible de lui donner les soins nécessaires. Elle souffrait cruellement : dans tout le palais on entendait ses cris. Sa petite-fille, l’Infante Jeanne, se rendit alors à Tordesillas, amenant avec elle des médecins et chirurgiens de Valladolid. La reine, qu’elle l’eût reconnue ou non, se tourna, lorsqu’elle entra, du côté du mur et refusa de la voir. On rappela en toute hâte le P. Borgia.

La présence de ce religieux, son inaltérable patience, ses consolantes paroles exercèrent cette fois encore une heureuse influence sur l’esprit et même sur l’état physique de la princesse. Elle eut plusieurs jours de calme relatif ; son intelligence retrouva quelque lucidité, comme si, au moment de la délivrance, son âme